Je veux que tu meures

Oriane Durand, 2022

Souhaiter que les personnes les plus proches de vous, voire celles que vous aimez le plus, meurent, ça peut arriver. En tout cas, ça m’est arrivée. Je le recommande même, ça fait du bien : penser à une mort qui soulage, une mort qui vous libère d’un jugement, d’un étouffement ou d’un amour inconditionnel. Ou simplement vouloir interrompre la lourdeur de celui-celle qui parle trop, de celui-celle qui ne perçoit plus les limites, qui empiète et s’étale jusqu’à nier l’autre. Parfois, cela devient physique, lorsque le corps ne peut plus supporter la présence de l’autre. Je veux que tu meures exprime, selon moi, le souhait d’une disparition instantanée, plus que d’une mort réelle ; elle s’apparenterait à un effacement, celui d’un corps flottant dans l’espace s’éloignant progressivement dans le noir de l’univers, jusqu’au néant. Sans savoir où va le corps, sans savoir s’il meurt vraiment, quoi qu’il en soit, il disparaît une fois pour toute de la vue et de tout lien possible.

Autrement dit, que faisons-nous concrètement lorsque l’autre nous étouffe ou simplement lorsque nous ne supportons pas celui-celle qui est en face de nous ? Allons-nous voir une pièce du théâtre antique, Andromaque, Antigone, afin de vivre une catharsis ?
Personnellement, je choisirais Penthésilée (1808), le mythe grec réécrit par Heinrich von Kleist. Il raconte l’histoire de la reine des Amazones qui, pendant la guerre de Troie, tue « involontairement » Achille sur le champ de bataille, dont elle tombe simultanément amoureuse.

Angélique Aubrit et Ludovic Beillard ont, quant à eux, écrit un scénario qui met en scène la rencontre de cinq personnages dans un huis clos étroit où règne une tension loufoque et inquiétante. Le film qui en résulte, comme le dispositif de l’exposition, les situe dans un environnement qui emprunte les caractéristiques architecturales d’un vaisseau spatial. Ici sur terre, l’espace de la galerie, lui-même de petite dimension, a été réduit, il rappelle l’ambiance confinée et claustrophobe de ces véhicules interstellaires. Les costumes-sculptures d’Élena, Mauris, Heather, Niklas et Pete sont présentés les uns à côté des autres, adossés au mur comme des habits de cosmonautes rangés dans un sas de décompression. De son côté, le film laisse apparaître les personnages dans une cabine circulaire à 6 portes, dont les murs suintent l’humidité. Les personnages s’y croisent, s’y parlent, s’entrechoquent, attendent ou encore circulent. La situation entre eux semble instable, tantôt pesante et menaçante – vont-ils s’entretuer ? – tantôt ‘relaxe’ entre deux taffes de cigarette.

L’hétérogénéité de leurs habits suggère qu’ils viennent d’époques et de milieux différents. Peut-être qu’Élena, Niklas, Heather, Mauris et Pete ne se connaissent pas, qu’ils se sont retrouvés là comme dans le Huis clos (1947) de Sartre, où trois inconnus se rencontrent en enfer ; un enfer où il n’y a ni bourreau ni instruments de torture physique mais seulement les autres et leur jugement implacable. Ou peut-être assiste-t-on à une scène comme dans l’Alien de Ridley Scott (1979) où les membres de l’équipage sous haute tension, se réunissent autour de Ripley afin de faire le point sur la menace qui règne à bord du vaisseau.

Le physique singulier de ces personnages, constitués d’avant-bras et de têtes en bois surdimensionnées qui contraignent leurs mouvements, les localisent à la croisée de ces deux histoires. Alors que les visages apparaissant sur les casques en bois ont des traits distincts, leurs yeux passent inaperçus, comme s’ils étaient fermés. Sans présences oculaires, ces visages s’apparentent à des masques mortuaires. La fragilité du corps humain qu’exposent les armures de bois, l’isolement des personnages, le style du film et des costumes, chaque élément, qu’il soit esthétique ou narratif, contribue à produire un état intermédiaire, un sas tragi-comique.

 

Consulter la documentation de l’exposition.

It can happen to wish that the people closest to you, or even those you love the most, die. In any case, it happened to me. I even recommend it, it feels good : to think of a death that relieves, a death that frees you from judgement, from suffocation or from unconditional love. Or simply wanting to interrupt the heaviness of the one who talks too much, the one who no longer perceives the limits, who encroaches and spreads out to the point of denying the other. Sometimes it becomes physical, when the body can no longer bear the presence of the other. Je veux que tu meures (‘I want you to die’) expresses, in my opinion, the wish for an instantaneous disappearance, more than a real death ; it would be like the obliteration of a body floating in space, gradually disappearing into the blackness of the universe, into nothingness. Without knowing where the body goes, without knowing if it really dies, be that as it may, it disappears once and for all from sight and from any possible link.

In other words, what do we actually do when the other person stifles us or when we simply can not stand the one in front of us ? Are we going to see an ancient play, Andromache, Antigone, in order to experience a catharsis ? In my personal opinion, I would choose Penthelesia (1808), the Greek myth rewritten by Heinrich von Kleist. It tells the story of the queen of the Amazons who, during the Trojan War, ‘unwittingly’ kills Achilles on the battlefield, with whom she simultaneously falls in love.   As for them, Angélique Aubrit and Ludovic Beillard have written a script that stages the meeting of five characters in a tightly enclosed space where a zany and disturbing tension reigns. The resulting film, like the exhibition set-up, places these characters in an environment that borrows the architectural characteristics of a spaceship. Here on earth, the gallery space, itself small, has been reduced, recalling the confined and claustrophobic atmosphere of these interstellar vehicles. The costumes-sculptures of Élena, Mauris, Heather, Niklas and Pete are presented next to each other, leaning against the wall like cosmonauts’ clothes in a decompression chamber. The film, on the other hand, shows the characters in a circular cabin with six doors, the walls of which ooze humidity. The characters pass each other, talk to each other, bump into each other, wait for each other and move around. The situation between them seems unstable, sometimes heavy and threatening - are they going to kill each other ? - sometimes ‘relaxed’ between two puffs of a cigarette.   The heterogeneity of their clothes suggests that they come from different times and backgrounds. Perhaps Élena, Niklas, Heather, Mauris and Pete don’t know each other, perhaps they have found themselves there, as in Sartre’s No Exit (Huis clos, 1947), where three strangers meet in hell ; a hell where there are no executioners or instruments of physical torture but only each other and their implacable judgment. Or perhaps we attend a scene like in Ridley Scott’s Alien (1979) where the crew members, under high tension, gather around Ripley in order to review the threat on board the ship.   Le physique singulier de ces personnages, constitués d’avant-bras et de têtes en bois surdimensionnées qui contraignent leurs mouvements, les localisent à la croisée de ces deux histoires. Alors que les visages apparaissant sur les casques en bois ont des traits distincts, leurs yeux passent inaperçus, comme s’ils étaient fermés. Sans présences oculaires, ces visages s’apparentent à des masques mortuaires. La fragilité du corps humain qu’exposent les armures de bois, l’isolement des personnages, le style du film et des costumes, chaque élément, qu’il soit esthétique ou narratif, contribue à produire un état intermédiaire, un sas tragi-comique. ‘

 

Exhibition’s views.