Depuis 2017 Angélique Aubrit & Ludovic Beillard ont croisé leur travail au sein d’expositions et de résidences communes jusqu’au moment où, il y a deux ans environ, leur « conversation » a pris la forme d’une véritable collaboration donnant lieux à de nombreuses sculptures, installations, films. Au sein du duo Angélique Aubrit réalise le plus souvent la partie des œuvres en textile, et cela suivant les principes Do It Yourself. Ludovic Beillard sculpte le bois. Ces deux pratiques convergent pour donner vie à des personnages, flottants, présents ou absents, affectés par des situations sociales décevantes, voire désespérantes.
Inspirés du cinéma de genre et de philosophie récente, leurs personnages sont également et selon les fois, le reflet de la relation particulière qui a lié les deux artistes avant de prendre les voies de la sublimation, devenant également les témoins de cette impossible communication qui caractérise la condition humaine. De ce fait l’histoire personnelle de deux artistes s’insinue discrètement dans un univers où se conjuguent récits, légendes, théâtre de l’absurde et imaginaires médiévaux avec notre époque contemporaine dans ce qu’elle a de plus brutal et brumeux. Il règne alors un état psychique névrosé, proche de la psychose, mais qui ne se laisserait pas observer de l’extérieur, parce qu’il concerne autant l’observateur que l’observé. Car le duo ne retient pas le visiteur à distance dans ses environnements. Il l’inclut au malaise comme partie prenante, comme si chaque œuvre semblait dire à celui qui la rencontre : « cela pourrait être toi... ».
Au sein des environnements que les artistes réalisent pour leurs personnages, il y a quelque chose de la mise en scène anxiogène, de l’attitude grotesque, des sons lugubres, une sorte de Gesamtkunstwerk, mais moins flamboyante que chez Wagner : les sensations sont plus telluriques chez le duo, terreuses, comme enfouies dans la glaise humide de laquelle jaillissent souvent des sculptures. On ne trouve pas d’envolées lyriques, mais une envolée inversée vers un individualisme psychotique cherchant une vaine échappatoire à travers lui-même. Pourtant, les deux artistes se refusent à tout pessimisme puisqu’il s’agit ici d’accepter un état civilisationnel et humain et d’en écrire les possibles formes de refoulement. Angélique Aubrit & Ludovic Beillard s’intéressent à la question du dispositif, que ce soit au cinéma, dans les parcs d’attractions, au théâtre ou dans les musées. Lorsque les deux artistes travaillent sur un décor, il ne s’agit pas d’imiter la réalité, mais de jouer avec les faux-semblants, les impressions de déjà vu, le brouillage des échelles. Enfin les créations des deux artistes sont totales et généreuses, prises dans des expositions fonctionnant comme des unités dans lesquelles chaque œuvre se veut un vers du poème.