Les œuvres de Ladislas Combeuil (né en 1989 à Vannes, vit et travaille à Claix, en Charente) répondent à une recherche plastique qui puise ses formes dans une relecture constante de l’histoire de l’art. Celle-ci se lie plus ou moins fidèlement dans les sculptures qu’il élabore. A l’artothèque de Pessac, il détourne « Melancolia I », la célèbre gravure sur cuivre d’Albrecht Dürer (1471 – 1528), datée de 1514, œuvre emblématique intégrant une multitude de symboles qui sont autant d’énigmes ayant suscité de nombreuses interprétations au fil des siècles. L’image pourtant sert de simple point de départ, prétexte à une interrogation sur le statut même de l’art. Point de Polyèdre ici comme celui figuré dans la gravure au bas de l’échelle, sans nul doute la forme la plus représentée par les artistes, et que Ladislas Combeuil a lui-même déjà revisité dans une série de sculptures précédente. La forme, trop évidente en tant que représentation, est écartée. L’artiste s’intéresse à d’autres éléments présents dans la composition, qu’il tord, manipule, décontextualise, réduit à leur simple dimension de matériau. L’échelle, la sphère, le carré magique, la chauve-souris, la roue de meunier deviennent les éléments d’un travail qui diffère du précédent dans lequel il transposait jusque-là formellement des œuvres iconiques de l’histoire de l’art à l’aide de toile et de bois. Ici, il n’est en rien mimétique. Dénommée Demeure, l’installation qui occupe la salle d’exposition de l’artothèque de Pessac est un « foyer, un habitat mais aussi ce qui reste sans bouger » confie l’artiste. Les figures fragmentées, composées d’acier rouillé et de contreplaqué arraché, abîmées de façon délibérée, donnent à cette demeure une indéniable empreinte mélancolique. Le visiteur est plongé dans un espace indéfini dont on ne sait s’il est en construction ou en ruine, s’il a vécu ou s’il s’apprête à vivre, un non-lieu entre la ville et la périphérie, un entre-deux dans lequel le temps serait suspendu.
La sphère qui occupe le premier plan en bas à gauche dans la gravure de Dürer apparaît moins noble ici. Elle se perd au milieu d’un tas de sciures de bois dont elle est elle-même constituée, restes de contreplaqué arraché, posés dans un coin. Tout près, le long du mur, l’escalier sur lequel est posé un masque à la patine rouille – semblable aux masques, protecteurs des maisons en Inde et au Népal que l’artiste a ici substitués à la chauve-souris de la gravure -, et une corde, ne conduit nulle part, à moins que sa destination, étrange, ne soit le cadre en acier et verre brisé qui le surplombe. Le « Carré magique », devenu ici sculpture autoportante, se devine enfoui sous un imposant tas de clous rouillés, réminiscence des quatre pointes présentes sur la gravure que l’artiste multiplie à foison, tandis que le mur attenant est saturé par vingt-six panneaux d’acier et de contreplaqué arraché, répartis en deux rangés. L’artiste semble ici revisiter l’ornement, interroger le motif. La partie visible du contreplaqué arraché au ciseau à bois exprime toute la violence de l’acte. A l’avant des panneaux, la sculpture des échelles elles aussi en acier, multipliées par l’artiste comme il a multiplié les clous, évoque les nombreux chemins possibles qui sont autant de lectures de l’installation. Non loin, des parpaings en acier occupent l’espace. D’autres parpaings en contreplaqué et en verre avec copeaux, semblent leur répondre. Une « sculpture poulie » est accrochée sur le dernier mur.
La « demeure » de Pessac évoque un cabinet de curiosité, un champ d’expérimentation perpétuel qui réinterroge sans relâche l’histoire de l’art à travers la création plastique. Car Ladislas Combeuil pratique la peinture mais, à la manière de l’artiste américain Carl André qui travaille des matériaux bruts et industriels tels des plaques de métal ou des billots de bois, axant sa réflexion sur la notion de sculpture détachée de toute référence à l’architecture, repoussant, à travers l’utilisation d’éléments standardisés et combinatoires de la construction industrielle, l’idée même de composition traditionnelle. « J’ai commencé par la peinture et je suis arrivé à la sculpture avec les matériaux de la peinture » précise-t-il. Les coups de pinceaux de Combeuil sont des coups de ciseaux à bois. « C’est physique et assez violent (…) J’arrache la première couche de contreplaqué pour laisser paraître le côté marron, la colle entre chaque strate » poursuit-il. Il ramène ainsi l’œuvre à la matière, en la sortant de son contexte, la réduit à son aspect matériel. Pour autant, en faisant le choix de remettre la pièce au mur, il la replace inexorablement dans la peinture, dans une sorte de mise en abîme qui ouvre sur une nouvelle réflexion. Le faire, le labeur, la besogne de l’atelier, le statut même de l’artiste, l’histoire de l’art, c’est tout cela que questionnent ses sculptures non sans ingéniosité et ironie. Ladislas Combeuil construit une œuvre immersive dans laquelle le visiteur est invité à faire une expérience réelle, physique, perceptive d’un espace qui, réinventé par l’artiste, appelle à un nouvel usage de la salle d’exposition.