« Aux heures les plus chaudes »

Corinne Szabo, 2020

 

« Peindre, c’est caresser »
Paul Valéry à propos de la peinture de Titien

 

La production réalisée pour l’exposition [Aux heures les plus chaudes] chez Pierre Poumet reflète le sens du décor et de la couleur qui caractérise le travail de l’artiste et engage une érotisation des figures féminines dont la chair paresseuse va faire l’objet chez le spectateur d’un voyeurisme raffiné.

Alanguies, engourdies, lentes et pesantes, Tatiana Defraine propose au regard du spectateur un inventaire complet de poses féminines érotiques dont les indolences voluptueuses se livrent à la paresse et à la lascivité. Dans un univers d’où l’homme est exclu, mais qui s’offre comme une promesse dans la surabondance de créatures et de potentiel de jouissance visuelle, la tradition picturale du modèle féminin est prolongée dans un véritable hymne à la volupté.
Les Vénus de Titien, de Goya ou de Gauguin rejoignent les femmes indolentes de Bonnard et de Vuillard dans des « arrangements » esthétiques qui provoquent le désir. Or, le désir ne se donne pas d’emblée dans l’image, il naît des dispositifs plastiques que l’artiste va mettre en place pour provoquer l’envie de voir, l’envie de toucher, l’envie de sentir : dans de petits formats, les corps féminins réalisés au pastel gras gisent dans des lieux intimistes - dans une chambre, sur un lit, dans un lieu réservé à la toilette, au bain ou au repos - dans lesquels le spectateur-voyeur s’introduit. Saisi à l’abri d’espaces clos, de cabinets de toilette ou de jardins verdoyants, le personnage féminin se repaît d’une nudité innocente parce que dévoilée mais non encore offerte. Le spectateur fait donc l’effort, par l’imagination ou par l’action, de se rapprocher de ces corps, d’observer et de regarder pour le seul plaisir de voir ce qui ne doit pas être vu. Ce nouveau format, comparable à un petit objet privé, suit en l’amplifiant le corps de ces femmes qui bordent la toile. Leur présence n’est là que pour faire ressortir plus intensément l’extrême enchevêtrement des courbes sensuelles des corps, renforcées par celles des objets (vases, tasses, soucoupes, tables, baignoires) dont les formes circulaires et sphériques en appellent au maternel et au fantasme fusionnel.

Mais ce qui rend ces images intéressantes est lié à l’effet qu’elles produisent, plus qu’à leur contenu : les sens sont sollicités par les chairs qui en donnent le désir et par les sensations de moiteur, de chaleur et d’abandon. La vue mais aussi le toucher sont des sens particulièrement convoqués par l’artiste qui suscite ainsi les pulsions du spectateur.

Défendant alors les qualités purement sensibles de la matière grasse du pastel, Tatiana fait l’apologie du maquillage, des plaisirs et de la séduction féminine (largement développée dans les grands formats picturaux de l’artiste). La matière coloriste du pastel permet en effet de développer pleinement la dimension sensible et sensuelle de l’image qui devient alors séductrice et s’offre au plaisir de la contemplation. L’émotion soulevée par l’imitation des chairs fait vaciller la perception entre la réception et la caresse, donnant au regard quelques hallucinations et visions sensorielles : la peau, les cheveux, les poils des animaux métaphorisent les attributs sexuels.

Les toiles de Tatiana constitueraient ainsi des surfaces de contact, des analogons de l’énergie sexuelle : la manière dont le spectateur entre en contact avec cette image transforme fantasmatiquement l’image en une femme réelle. La volupté dans l’art doit être prise ici dans son sens premier car l’Éros qui s’en dégage induit bien « un effet de présence active ».

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