« In the Hanging Garden No One Sleeps »

Lena Peyrard, 2021

Il existe de ces torpeurs moites qui vous collent à la peau. Des temps infinis où les minutes fondent au ralenti sur les pavés de la ville brûlante. Images fantômes ou mirages exotiques, les silhouettes se pressent, à la recherche d’une oasis de fraîcheur. Au détour d’une rue, se révèle alors le jardin déterré d’entre les ruines de Babylone. Longtemps fantasmé, il se dessine comme un paysage nostalgique nourrit par les souvenirs de terres boisées d’Amytis. Alors vient la nuit où dans le jardin suspendu, nul ne dort. Sur les rythmes obsédants de la chanson The Hanging Garden, du groupe de musique new-wave The Cure, des créatures d’un autre temps percent la nuit de leurs cris sourds. Il y est question de jardin d’insomnie, d’hallucinations narcotiques, de chimères obscures prêtes à bondir sous le halo de la lune. Dans le silence pesant, la menace court entre les arbres d’un monde où les créatures de fourrures portent des masques. Résolument gothique, la chanson nous enveloppe de visions fantasmées aux inspirations mythologiques. Sous nos yeux, les statues prennent vie, et chuchotent leurs histoires épiques sur une ligne de basse entêtante. L’image qui reste est celle d’un jardin où la nature se fait reine, métamorphosée en l’exposition-décor d’une histoire sombre peuplée de formes de la nuit.

Le morceau The Hanging Garden devient ici le point de départ d’un imaginaire collectif empreint de références à la musique, au monde végétal, aux paysages sensoriels. À l’occasion du week-end de l’art contemporain de Bordeaux, La Réserve Bienvenue se métamorphose alors en jardin de l’esprit et lieu du vivant. Largement évoqué dans l’histoire de l’art, le jardin est un microcosme qui invite à l’évasion vers des fictions où règne la métamorphose. Loin d’être clos, il est un territoire infini de rencontres, à l’image des treize univers qui se télescopent au sein de l’exposition In The Hanging Garden No One Sleeps. C’est ainsi que dans les espaces de l’atelier, la création se donne à voir luxuriante et déploie un panorama où s’unissent les formes de la nature et l’artificiel, le rythme et la paresse, l’ombre et la lumière. L’exposition se présente alors comme une oasis de contemplation où, lovés au creux de l’espace, la langueur s’empare de nos membres, et l’extase de nos sens. Silence. Musique. Les notes se succèdent, lancinantes. Elles colorent ce tableau vivant d’une teinte mystérieuse. Couleur qui se fait aussi odeur, puisque portée par des caresses invisibles d’un parfum volatile, réveillant en chacun des fantasmes hallucinés. Agitations sensibles. Ondulations des murs et ciel à l’envers. Le temps de quelques jours, le jardin de la Réserve Bienvenue dévoile aux visiteurs ses secrets, qui, portés par des airs envoûtants et les images d’un délire végétal, plongent peu à peu dans la transe de l’insomnie.

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