Tatiana Defraine

vue par

Jean-Baptiste Carobolante

Un grondement certain, une douce fuite

Depuis ses toutes premières peintures, Tatiana Defraine a engagé son travail dans un questionnement des archétypes de représentation féminine. Archétype entendu comme un type de figuration se rapprochant le plus possible d’une source arbitraire, sociétale, de discours et de clichés visuels. Son point de départ fut l’imagerie de la mode et ses corps objectivés, bien souvent accessoirisés, qui se retrouvaient à lutter avec la matière picturale les encerclant, lorsque celle-ci ne les déformait pas. Un bon corps est un corps qui se tient, aux limites certaines et aux signifiants clairs, telle semble être l’opinion visuelle de masse et la première problématique soulevée par les tableaux de l’artiste. Et de là, une question purement picturale : comment représenter un corps féminin normé sans soumettre le geste artistique ? C’est-à-dire, comment garder une forme de liberté face à un ensemble de codes de visibilité qui contraignent autant les corps que les modes de représentation ? On choisit alors des sujets et des manières de les peindre qui tendent à mettre en doute ces archétypes. On déforme, on rend ambigüe l’objet même du regard, le poussant vers un voyeurisme stérile et tragique.
Les corps devenus doubles, fantômes ou mythologies forment autant de directions possibles à une peinture s’engouffrant dans de telles réflexions. Il faut soulever l’archétype et le conduire vers l’aporie, le rendre inopérant. Les corps sont figés dans des baignoires, dans des paysages, dans le faux-semblant, non pas pour y être contraint mais pour y puiser un apaisement salvateur. Face aux archétypes, on oppose de la douceur. Ce n’est plus dans la mondanité que les figures féminines exultent, mais bien dans des aplats de couleur. Dans le dénuement d’un geste désirant une fausse naïveté aussi, certainement. D’autres, cherchant le mouvement, s’enfuient dans le bleu à dos de cheval ; au loin, elles sont de moins en moins des corps et de plus en plus des idées, regagnant ainsi une autre source.
La peinture est plus libre lorsque le peintre la maîtrise moins. Le corps représenté devient sujet, et non plus objet, lorsque ses traits sont plus incertains. Pour Tatiana Defraine, fuir la virtuosité c’est émanciper sa pratique, sans perdre pour autant en technicité. Les bâtonnets d’huile traités comme des rouges à lèvre gagnent en dimension conceptuelle en même temps que le geste s’allège. Les couches de peinture s’empilent pour mieux être grattées. Un processus qui ne cherche pas notre admiration mais notre compréhension. La peinture et les corps représentés sont entre, pour faire référence au titre de l’une de ses séries : dans un seuil, forcément plus sincère car indéterminé, offrant autant de libertés que d’introspection. Ces corps féminins risquant de tomber dans l’incertitude, corps qui fuient ou qui attendent, qui fusionnent avec la nature et avec la couleur, ce sont nous, public, c’est elle, la peintre, mais c’est aussi la peinture elle-même, conceptualisée : cherchant le salut dans de nouvelles normes, dans de nouveaux possibles, dans des récits et des filiations qui puiseraient leur source dans l’image elle-même, et non dans des typologies imposées.

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