Cela pourrait sonner comme le titre d’un jeu vidéo, ou d’une saga de science-fiction – « Vision Quest » : la recherche éperdue d’une expérience oculaire ou d’un nouvel horizon. La réalité, sans pour autant totalement contredire cette lecture spéculative, se situe dans une perspective moins futuriste, au coeur de rituels sans âge et sans localisation précise.
« Vision Quest », donc, est le titre que Pierre Clement a choisi pour réunir un ensemble d’oeuvres produites pour son exposition à la galerie Valeria Cetraro. L’expression, qu’il faudrait traduire par « rite de passage », fait référence à une succession de cérémonies et d’épreuves qui, dans les cultures amérindiennes principalement, accompagnent différentes étapes de la vie d’une personne. La « quête de vision », que dit une traduction littérale de la formule anglaise, évoque quant à elle plus précisément le passage de l’enfance à l’âge adulte. Certains rites auraient en effet consisté à envoyer pendant quatre jours et quatre nuits un jeune homme, sans eau ni nourriture, sur un site sacré. À force de prière, d’invocations et de larmes versées, le corps et l’âme épuisés de l’adolescent accueillaient l’apparition d’esprits, qui lui dévoilaient alors le sens de sa présence sur terre – lui dictant par la-même son rôle dans la société et la meilleure manière de l’accomplir.
Transposée à l’espace d’exposition, cette histoire devient le point de départ d’une épopée technologique aux allures de nouveau mythe fondateur dont l’artiste a élaboré le scénario. Remplaçant le garçon par une machine qui n’est pas sans rappeler celle imaginée par le mathématicien John von Neumann, qui mit au point le concept de sonde autoréplicative, Pierre Clement imagine une forme de colonisation interplanétaire rendue possible par ce mécanisme autonome. Se déplaçant de planètes en planètes, glanant ce qu’elle trouve pour s’alimenter en matières premières, la machine ayant la capacité de construire un double identique d’elle-même peut bâtir différents foyers où s’établir, et continuer son exploration spatiale. À partir de là, et dans une forme large de syncrétisme combinant intelligence artificielle, manipulation d’ADN et création du vivant, l’artiste développe tout un langage formel qui pose l’hypothèse d’un monde peuplé de machines, d’où l’humain est absent, avant peut-être que la machine puisse recréer le code qui en déclencherait le retour.
Si la question d’une génération artificielle du vivant par l’apport d’une entité technologique et extra-terrestre traverse les fictions spéculatives depuis plusieurs décennies (on pensera bien sûr à Philip K. Dick, et en particulier à sa « trilogie divine »), elle sert ici de matrice conceptuelle à l’ensemble des oeuvres qui s’installent entre les murs de la galerie. La teinte blanche, presque osseuse, domine l’ensemble de ces réalisations, que l’artiste dit d’ailleurs avoir voulu présenter de manière classique, sans tentative de produire un environnement qui en deviendrait le décor. C’est aussi une forme d’affectation toute particulière qu’il exprime à la surface des différentes pièces, lesquelles ont l’aspect de chairs nécrosées dont la pâleur, comme anémiée, accentue le malaise des proliférations dégénérescentes. Leur mise en connexion ne constitue ainsi pas une situation potentielle de visibilité, mais permet davantage d’entrer dans cette fiction fondée sur les recherches que mène Pierre Clement autour de collisions possibles entre le technologique et l’organique. L’espace d’exposition prend alors des allures de quartier général, ou de remise clinique, où se déploient les instruments et preuves diverses de cette colonisation machinique. Une sculpture évoquant un tumbleweed rappelle l’aléatoire de la migration, tandis qu’une cartographie sommaire s’étend au mur, semblant consigner les aspérités des territoires circonscrits par la machine. Des cadres en plexiglas laissent quant à eux apparaître par transparence de motifs l’image de sols gangrenés, épuisés – paraboles sans équivoque pour figurer des planètes exsangues, stériles de toute nature.
Avec ce projet, Pierre Clement appréhende indirectement la responsabilité humaine dans l’extinction des ressources. La sonde autoréplicative, dont l’intelligence artificielle réclame une expansion constante, apparaît comme la continuation nocive d’une humanité toujours en quête de croissance. Informée par la recherche scientifique et ethnologique, sa pratique combine alors, dans une grande ellipse temporelle, les rites dits primitifs à l’intrusion elle aussi exponentielle de la technologie dans notre conception du réel. Le retour aux mythes, aux visions intérieures sous-entendues par le titre, figurent alors les prédictions hallucinées d’un monde dépassé par sa propre entropie.