L’exposition trouve sa correspondance la plus littérale dans le quotidien et l’imaginaire de Pierre Clement. On visualise l’artiste dans son studio, derrière son ordinateur, fouillant les sites survivalistes, surfant sur les conspirationnistes, parmi lesquels Above top secret « Le plus vieux site de pessimistes. Il parle de tout sans aucune hiérarchie, de la biologie à Donald Trump, en passant par l’ufologie ». Above top secret pourrait être ainsi le titre d’un film de Terry Gilliam évoquant un futur cauchemardesque nuancés par un hymne à l’amour. Une antiphonie au sein de laquelle, Pierre Clement dévoilerait au son de l’apocalypse de « La guerre des mondes », des scènes de désastres et autres répliques d’un roman d’anticipation.
Mélange d’une bande son dramatique, Clement additionne à la manière de Jack Foley en post-production, les effets d’un quotidien géo-manipulé : ouragans photocopiés, vues de désert, imagerie satellite, viseur/mire de cockpit d’avions de chasse, oeil de cyclone, antennes relais 4G ou autres seringues. Il intègre en transparence, différents calques de la fiction, de la reconstitution jusqu’au drame. « Je mélange des couches, je les associe. On les retrouve dans les gestes que j’utilise, dans le choix des matériaux. Elles m’échappent, elles s’organisent ; il y a une trame, une grille. J’échantillonne, je séquence. »
Dans l’espace d’exposition, 6 grands formats sur châssis bois, font face à 6 sculptures, un accrochage dans la pure tradition classique ; de petits arbustes en lévitation : des coraux composés de seringues piquées entre elles et suspendues sur ressorts. Chacune de ces pièces sont travaillées comme des organismes expansifs, constitués d’éléments juxtaposés créant un effet visuel, une distorsion. Ils donnent au spectateur une impression de mouvement ou d’images cachées. Clement provoque chez le regardeur une forme de syndrome du voyageur, évoquant un trouble psychique passager due à la confrontation avec la réalité.
Les titres de ses œuvres, par exemple, 4Ghudhurr2, associent les abréviations des différents ingrédients, hurricane, HUD de visée (système de réalité augmentée militaire), sigle 4G. Ces derniers deviennent les mots de passes d’une fiction scientifique. On imagine Pierre Clement fouillant les poubelles du futur ou encore les déchets laissés par nos prédécesseurs, progressivement déposés, couche par couche, vestiges temporels et témoins matériels d’époques, en devenir ou bien révolues, sur lesquelles, s’érigerait notre présent.
L’exposition, décidément, développe la discussion de l’artiste sur le fossé entre la fiction artistique, la réalité, et l’absurdité. En ruinant l’esthétique « couper-coller » et/ou les références hypertextes, Pierre Clement utilise le médium et son histoire comme filtre de ses expériences personnelles. Above top secret, en définitive, est un « homemovie » subversif, façon lowtech, un va et vient entre appropriation ironique et résonance politique. Pierre Clement, aka Nanouk l’esquimau, joue et met en scène une certaine archéologie du futur et pose les bases de la post-réalité.