Lorsque Chantal Raguet initie en 2008 le New French Fauvism, il n’est aucunement question de promouvoir un équivalent français des Neue Wilden. Si certains de ses principes d’action colorimétrique comme le camouflage, le covering et le tuning dessinent des affinités avec ses confrères néo-expressionnistes, dont elle partage une culture commune puisqu’à moitié allemande, c’est plutôt du côté de Marcel Broodthaers et de son Département des aigles qu’il faut regarder. Entre installation et décor, la parodie de musée qu’est La section des figures (1972) décline le motif de l’aigle en une multitude d’images et d’objets pour la plupart décoratifs et honorifiques.
Chez Raguet, la variation autour d’un animal, dont les moteurs sont l’art conceptuel et la critique institutionnelle, fonctionne de manière non identique mais similaire. La figure du fauve, qu’elle ne saurait détacher de la constellation qui la constitue – la triade dresseur, dompteur, fauve – lui permet d’aborder le schéma institutionnel (le fauve étant l’artiste, le dresseur le galeriste et le dompteur le musée) et le rôle essentiel des arts décoratifs au sein d’une réflexion sur l’être de l’art. La parure des félins, le costume du dompteur, l’environnement circassien mêlant musique, lumière, architectures éphémères, s’apparentent aux ornements d’un monumental décor.
Étymologiquement, cosmétique provient de cosmos, lequel signifie en grec ancien, ordre ou parure, soulignant par-là que ce qui a pu être placé du côté du décor et du superflu a partie liée avec les mythes de la création du monde. Du cosmétique au cosmologique, il n’y a qu’un pas, et le décoratif implique toujours un questionnement sur les rapports complexes qu’entretiennent l’ordre et le désordre en ce bas monde. Le sauvage et le dompté, le naturel et l’artificiel, l’harmonique et le dissonant, le discipliné et l’improvisé sont autant de polarités qui traversent les pièces de Raguet, que celles-ci relèvent de l’assemblage, de l’installation, de l’objet, de l’action in situ ou de leur combinaison. Toujours rigoureuse, l’artiste s’adonne à un apprentissage strict de gestes et de savoir-faire pour ensuite introduire méthodiquement des éléments perturbateurs créateurs de surprise et de beauté, parfois même d’irrévérence.
Si son point de départ est scrupuleusement biographique, le travail lui se tient à distance de l’autobiographie. Il s’agit plutôt d’un ancrage vital, d’une coupe transversale organique de ce maillage infini de polarités. Ainsi de Rosa Bonheur qui travaillait en collaboration avec des artistes de cirque pour s’approcher au mieux des êtres sauvages dont elle souhaitait faire les portraits, Raguet déjoue, à la suite de Broodthaers, les oppositions stériles entre l’art conceptuel, considéré comme champion de l’autonomie, et les arts appliqués (costumes, parures, ameublement, jeux) longtemps exclus des hautes sphères d’un art a-fonctionnel libéré des usages. Sans directement reprendre le flambeau d’une tradition bordelaise autour du décoratif, notamment théorisée par le philosophe Jacques Soulillou, membre de Présence Panchounette, le travail de Raguet dialogue avec l’histoire politique de l’ornement et ausculte ses affinités avec l’univers militaire.
Ornement / armement : la guerre demeure le lieu ancestral de la décoration, de la médaille et de la parade, celui d’une symbolisation de la violence et donc aussi de la conquête. En 1975, Broodthaers titrait une œuvre La conquête de l’espace. Atlas à usage des artistes et des militaires, dont on peine à imaginer que Raguet ne l’ait pas consulté malgré sa ridicule petite taille (38 x 25 mm).