Au départ j’ai choisi le décoratif comme terrain d’inscription pour mon travail : ce champs d’action qui n’était ni le décor, ni l’ornement, ni les arts décoratifs, mais plutôt une dimension transversale qui interrogerait leurs frontières. Cet espèce de décoratif transgressif que j’aimais à envisager dans sa perspective critique, m’est apparu, un temps, comme une possibilité de dissidence par rapport à l’ordre et aux codes établis. Je mettais alors au point une sorte de stratégie de désobéissance, en m’attaquant à diverses application telles que la muralité (wallpaintings), le recouvrement (papiers peints), la sérialité (frise, motifs), ou l’objet mobilier (témoin du bon goût ou du dégoût).
Je conservais un intérêt profond pour le fait main, l’artisanat, au même titre que les industries de pointe, tout comme pour les théories autour de l’abstraction, de l’inconscient optique ou de l’art conceptuel et bien entendu je continuais à refuser un nivellement « low-high culture ». J’asseyais une position de DJ de l’objet = OB-J, contenant le mix des factures, les va et viens et réemplois entre l’Histoire, celle de l’Art et la mienne. J’évolue toujours parmi des éléments de proximité, considérés comme banals, quotidiens, vulgaires ou désuets. Je procède par prélèvements et pratique le vandalisme oculaire. Je les réactive et questionne leurs places respectives.
Mes outils et mes moyens se résumaient à la collecte obsessionnelle ou ponctuelle, l’accumulation, la répétition (sampling), la contamination, la prolifération (de type viral), la déconstruction (cut), le renversement, l’inversion (scratching), la contradiction et le déplacement. Les pièces ainsi obtenues contenaient bien souvent l’objet sans être des sculptures, ressemblaient parfois à des tableaux sans peinture mais avec des problématiques proches, il n’était pas réellement question d’installations non plus. Un terrain-vague, sans réelle possibilité d’affirmation de modèles, ni de filiation directe, encore moins de progrès.
Sous cette position partiellement iconoclaste, je me suis rendue compte que ce dit décoratif avait une fonction d’alibi. Une manière pour moi de conserver à tout prix les différentes couches de lecture et de compréhension autour de ce que je réalisais. Une forme de volonté de tromper sur l’apparence, sur l’aspect, tout en assumant la possible portée esthétique, poétique ou symbolique des pièces. En fait, au plus profond, c’est leur inscription sociale qui m’importe, la dénonciation des normes au profit des minorités, de toutes formes d’exclusions, de mises à l’écart. Je m’applique à en décrypter les différents signes en usage. Je réfléchis par exemple, au rapport des masculins entre eux plutôt qu’au féminisme ; je parcoure des questions martiales, de textile, de dressage et fais état de mes traversées.J’ai donc une production éclatée mais méthodique.
Je dialogue volontiers avec des spécialistes en tous genres. Par des enquêtes et des analyses, je m’attache à lever le silence ou à réaliser des mises en lumière de secrets, de zones troubles, d’erreurs d’interprétations. J’en exploite les incohérences. J’effectue toutes sortes de corrections, de retouches et de réajustages sur l’emplacement réel des choses. Je voudrais rendre regardable ce qui ne l’est pas ou faire voir ce que l’on ne voit plus en raison d’accoutumance visuelle. J’opère un travail d’embellissement de l’horreur, en fait un effort de sublimation. J’ai recours à deux armes : le temps et l’humour agissant sur les titres. Préoccupée par la recherche de sens et de vérités, je m’oppose au fond à la nécessité de la fabrique d’une fiction autour de l’oeuvre, je tends plutôt à défictionnaliser le réel.