Station

Didier Arnaudet, 2012

Nina Laisné photographie une absence, celle des corps, et cette absence désigne une présence, celle des espaces voués à l’action, la compétition et donc à l’entretien de ces corps. Elle décide ainsi des choix de regard sur des sites de pratiques sportives (piscine, gymnase) et de leurs équipements et commodités (vestiaires, douches, infirmerie), abandonnés, ou plus exactement mis entre parenthèses, en attente de la saison estivale. Elle nous confronte à un monde ordinaire, mais qui se dérobe à toute proximité rassurante, laisse place à une rudesse indéfinissable, une interrogation insistante, et cette confrontation directe, resserrée, marquée par une frontalité d’où se dégage quelque chose d’incertain, nous pousse à basculer peu à peu dans un monde inconnu.

L’image relève à la fois de deux ordres : la réalité et la fiction. Ces deux ordres interfèrent l’un dans l’autre et entretiennent des liens complexes qui empruntent bien des détours et des voies de traverse, tout en préservant une surface apparemment lisse, tendue vers une communication n’opérant que par élimination ou suspension. Tantôt ils se joignent, se mêlent et échangent leurs enjeux respectifs, tantôt, au contraire, ils se jaugent, se préparent à un affrontement, sûrement violent, pour signifier le tranchant de leurs oppositions. Cet état inconstant de confusion est pourtant délibérément convoqué, redoutablement maîtrisé. Il a l’objectif particulier de présenter l’expérience vécue d’une désignation et d’une rétractation, et de donner à ce double aspect une formulation qui, tout en étant rigoureusement ordonnée, insinue, sollicite et suggère. Il s’intensifie dans la conjonction du vide et du plein, de la lumière et l’obscurité, de la réserve et de l’éclat, de l’inertie et de la résistance.

Le démontage de la réalité ne peut s’effectuer que par un surcroît de réalité. Il s’agit de porter à l’extrême le jeu des indices, en soulignant les repères, en amplifiant les ressources, sans pour autant s’engluer dans la démonstration. Cet excès de réalité ne renonce pas à une qualité de fluidité, d’austérité même, et passe avant tout par le refus de l’abstraction des lieux et de la résonance fantomatique des corps. Son apparence théâtrale renvoie à la nécessité de la fiction, de son usage de la contradiction, à l’ouverture d’une scène affûtée, d’une inquiétante compacité, aimantée par un accomplissement qui ne viendra pas, mais où se devinent la forte tension de l’effort et le relâchement qui nous forcent à rester sur nos gardes, à maintenir une vigilance renouvelée.

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