Spitzberg 78° 15’N, 16°E

Le noir d’une terre carbonifère, les veines ajourées, strates de roches issues d’un temps profond. Le rouge insolite et la neige salie, approchez-vous encore, qui a dit que le Nord était blanc ?

Nous ne nous souvenons pas du Spitzberg.
Ce n’est plus qu’une suite de lettres, que l’on reconnaît, car elle désigne notre rêve, mais qu’on ne saurait plus prononcer.
Spitzberg a cessé d’être un nom depuis que les lieux ont disparu, et avec eux, les noms qu’ils portaient. Nous avons encore les cartes et il nous reste des images, mais plus rien ne nous permet de distinguer entre le monde tel qu’il a pu être, et celui qui fut imaginé, inventé, recréé.

Est-elle haute comme une dune, haute comme la plus haute des vagues ? L’homme absent de l’image, derrière son objectif, saisissant cette présence brute, qui se passe de toute légende. Il y manque désormais la silhouette qui nous aurait servi d’échelle.

Nous venons après, du temps profond qui suit les catastrophes, le naufrage, la longue agonie d’une terre qui ne s’est pas résolue, finalement, à mourir, mais que des générations de souffrances ont métamorphosée.
On dit que, pour ceux d’avant, l’histoire rêvée du monde s’ouvrait par ces mots : « Au commencement ». Notre histoire à nous commence après la fin, elle commence avec les premiers soubresauts, les signes avant-coureurs, ceux qu’on ne savait pas encore interpréter, qui déjà, pourtant, disaient notre perte. [...]

 

Lucie Taïeb
Extrait de D’un temps profond (en écho aux photographies de David Falco)

Lire également : « L’épreuve du paysage », texte d’Olivier Rignault, 2011

Catalogue de l’exposition

 

 

 

 

Spitzberg 78° 15’N, 16°E, 2005-2008
Tirage jet d’encres pigmentaires sur papier Fine Art Pearl
30 × 30 cm x 4 cm (encadré)
Encadrement : caisse américaine
Édition de 10 exemplaires (+ 2 EA)
33e Prix Kodak de la Critique Photographique 2008

© Adagp, Paris