À quoi tiendrait un début ? Quand Sophie Mouron prend une photo ou débute une vidéo, c’est toujours le même objectif. L’intention change bien sûr mais il s’agit toujours d’un même rapport au temps qui s’imprime. On surprend, dans les Impressions et plus particulièrement l’ensemble La fluidité des éléments, un moment dans le vol d’une nuée d’oiseaux, on est témoin du vent qui affole les épis de blé dans un champ. Le référent, c’est la main qui tient l’appareil, l’œil prêt à saisir les ondulations de l’eau alors que l’artiste passe au-dessus d’un pont. Cela ne dure qu’un instant qui reste de l’ordre de l’indénombrable, volontairement moins d’une minute mais pas tout à fait, de quoi jouer avec ce repère si commode. C’est déjà quelque chose de se rendre présent à ce que l’on regarde environ 50 secondes en s’efforçant de trembler le moins possible ; on tient alors sa respiration comme on médite. L’artiste propose d’aborder ce travail, que l’on pourrait voir comme une suite d’épiphanies, comme un haïku. Dans cette forme poétique japonaise qui se caractérise par sa brièveté, la révélation se fait par le regard ; ce qui était déjà là se révèle comme ce qui est devant nous. Dans une société capitaliste qui vit, comme l’écrit Jonathan Crary, dans une crise de l’attention {note}1, ce travail du temps, de la rencontre et des hasards a quelque chose de libérateur.
Le travail de Sophie Mouron n’est pas tant un travail de l’image qu’un travail du temps comme le révèle son utilisation de la séquence. Avec Carrefour I et II qui propose de couvrir un laps de temps d’une heure par une succession de photos prises toutes les 15 secondes, l’image nous montre le trafic routier à une intersection. Comme dans les séries de clichés de Jan Groover pourtant, la prise de vue n’essaie pas de nous montrer ce que l’on voit et les objets en soi, mais les relations, l’espace entre, ce qui, sur la durée, devient une trajectoire. Le protocole peut paraître absurde mais il n’est pas moins arbitraire que la mesure du temps par une unité mathématique. De fait, l’artiste joue aussi avec les manques de l’image, les intervalles et le hors-champ. Elle utilise la persistance rétinienne qui fonde le principe du cinéma pour aborder l’idée d’une continuité. La boucle qu’elle convoque régulièrement, comme la possibilité de renverser la séquence, s’inscrit dans une perception du temps cyclique, proche de celui que considèrent les bouddhistes. En observant aussi bien des évènements météorologiques naturels, la pluie qui tombe, un rayon de lumière que des mécaniques humaines, une machine de barbapapa ou encore le tambour d’une machine à laver, Sophie Mouron développe une phénoménologie du quotidien. Dans la série Une seconde avant... une seconde après, elle montre d’une image l’autre un moment de présence dans la capture photographique ; une posture entre l’art et la vie qui engage chacun dans un parcours tout à la fois spirituel et métaphysique. L’artiste traite la question comme un poème et la réponse comme une énigme. À quoi tiendrait une fin ?
1Yves Citton, L’économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ? La Découverte, 2014