Quelques lignes sur mon travail

Sophie Mouron, 2022

Parce que tout est matière, le vide, l’être et le non-être, l’avant, l’après, l’espace entre… Parce que c’est dans les intervalles qu’adviennent les choses, les apparitions comme les disparitions… J’accorde la même attention à ce qui se voit et à ce qui ne se voit pas… Ce qui ne se voit pas encore, tel une promesse, ou ce qui ne se voit plus, n’ayant laissé qu’une trace sinon un souvenir, une présence mémorielle sinon une absence.

Avec une prédilection donc pour l’infime et pour le murmure, pour le hors-champ, l’entre-deux et pour l’infinitésimal, j’appelle à des pauses contemplatives. À l’écart du tumulte, j’invite à mieux guetter et observer la fragilité des choses.
Et je m’attache dans mes propositions, photographies, vidéos, interventions dans l’espace ou travaux sonores, à souligner des passages - comme les signes de possibles - autant que des états.

Mes déambulations et mes « rencontres » au quotidien déterminent une grande partie de mes travaux.
Les images – photographies, vidéos, sonorités – que je saisis sont les jalons de mes arpentages. Elles sont les témoins-mémoires d’une action (un déplacement).
Mais elles éclipsent et supplantent souvent ce qui est à leur origine. Et s’esquisse toujours en arrière-plan la question de ce qu’est une image, de ce qu’elle donne à voir, de son rapport équivoque à la narration, à la mémoire, à un sujet ou un « objet », entre assujettissement et autonomie.

Je m’emploie aussi, d’un pas de côté, à excentrer le regard que l’on pose habituellement (souvent peu) sur des territoires familiers et « ordinaires », à le détourner comme vers des terrains inconnus.
Demeure toujours la question de ce qu’est voir… « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde », écrit Georges Didi-Huberman. Ce qui nous pénètre ou nous submerge, nous effleure ou bien nous échappe. Ce que nous créons du monde.

Bien plus que de calibrer ou poser, mon propos est de déplacer et décaler pour mieux éprouver nos mécanismes d’identification, de conditionnement et de sujétion.

Ainsi, les dispositifs spatiaux et temporels dans lesquels mes travaux s’inscrivent soumettent à notre attention notre propre présence, nos sens, nos certitudes ou nos manques.
Et les protocoles qui semblent souvent régir ces travaux (parfois selon des logiques mathématiques) s’avèrent surtout absurdes ou à l’issue hasardeuse. Ils sont autant de prétextes à interroger la façon dont nous nous saisissons du monde et organisons les paramètres élémentaires et fondamentaux que sont l’espace et le temps.

Une façon aussi de sonder les limites de notre propension et, notre prétention, à maîtriser et, contrôler.

A cet égard, je m’expose à ma propre perte de contrôle dans nombre de travaux.
Tantôt je ménage donc ce qui est susceptible de m’échapper au cours des processus ou protocoles que j’opère et je me dépossède en partie de leur issue. Tantôt, la perception de l’œuvre sera étroitement assujettie à l’effort et au désir du regardeur, la rencontre pouvant ne pas avoir lieu entre celui-ci et mes propositions, à la limite souvent du visible ou du décelable.
Des propositions dans lesquelles, que ce soient les images, les sons ou les interventions dans l’espace, je relève surtout des infraperceptibles, j’instille surtout des micro-perturbations et dans lesquelles, je dissémine des empêchements.

Il y a toujours et avant tout une quête de sens qui passe outre l’image, un mouvement de résistance à ce qui est visible qui passe par la mise en doute, motif peut-être le plus constitutif de mon travail.

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