Que dit Jean-Paul Thibeau avec des choses, c’est-à-dire rebus ? Il dit qu’il entend des conversations d’objets et dialoguer les choses qui se taisent. L’homme n’est pas la première bête parlante dressée pour s’exprimer, mais le premier animal qui a entendu. S’il parle, c’est qu’on lui a parlé ; c’est un animal qui s’est redressé pour écouter. La parole écoute et prête parole à ce qui ne parle pas.
Que peuvent nous dire les choses du silence ? Tout objet qui se tait dit je ne sais quoi. Rien n’est sans langage. Au monde, toutes choses disent je ne sais quoi . La matière ne sait rien dire mais nous demande d’entendre elle ne sait pas quoi . Par la vue, par l’oreille tendue, nous voyons les choses venir nous demander que nous les entendions. Elles le demandent sans mots, par leurs questions posées dans l’espace muet.
L’espace parle rébus. Rebus, avec des choses, dans des rébus non résolus, sans dénouement par le silence ni solution dans la parole. Le rébus de Jean-Paul Thibeau ne dit rien, sauf que l’espace est un drame. Nous avons reçu cinq sens pour apercevoir l’insensé : voir le monde et sortir de lui.
L’insensé dit : L’espace n’a pas lieu d’être. Les paroles des parlants peuvent enlever encore du silence entre les choses qui se taisent. Ceux qui croient avoir parlé du monde n’ont rien fait ; rien ne s’est dit tant que nous ne l’avons pas touché par notre parole. Lucerné dit que c’est avec du vide que le bon sculpteur laisse tout. Nous ne devons jeter plus aucun nom sur le monde ni sur les choses sauf leur parler. Les objets s’offrent à notre vue sans qu’on sache si nous allons parler les premiers ou si c’est eux qui vont nous enlever les mots.Que dit Jean-Paul Thibeau rebus c’est-à-dire avec des riens ? Qu’il n’y a que nous, les parlants, qui entendons que la matière se tait. La parole nous a été donnée, non pour exprimer aucun moi ni se communiquer aux uns les autres quoi que ce soit, mais pour entendre parler les muets. Les choses nous disent que le monde apparaît en paroles sous nos yeux. La parole ne nous a été donnée que pour entendre ce qui es tu. Tu nous a donné la parole pour t’entendre. La matière n’entend pas se taire. La matière ne t’entend pas. Si nous appelons les choses d’un nom, c’est pour entendre que l’univers est parlé.
Toute la matière repose sur la parole. C’est par elle seule que le monde est maintenu. Toute notre vue est parlée. Même si nous n’entendons rien de la vraie matière muette des choses, toutes viennent nous dire que tout le visible est un renouvellement perpétuel de parole. L’espace est l’étendue de ce silence parlant. L’espace est du silence entendu par ici où les choses et les mots s’appellent sans nom. L’espace n’est pas le lieu de la matière mais l’étendue du drame de la parole. Ici et pour un temps, quelque chose qui n’est pas là se donne à tout ce qui est présent.
Que dit Jean-Paul Thibeau rebus c’est-à-dire sans mot ? Qu’il n’y a pas de matière qui soit morte et que c’est une parole qui fait tenir les pierres. C’est ce que nous entendons depuis que nous avons cessé de partager le silence avec le troupeau muet des animaux. Partageons maintenant le silence avec les cailloux. Qu’est-ce qu’il dit ? Il dit que tout le silence se partage en parlant.
Que dit Jean-Paul Thibeau qui frappe la terre avec son marteau ? Que dit Jean-Paul Thibeau rebus c’est-à-dire en riens ? Il change la place des objets morts. Que dit Jean-Paul Thibeau qui a frappé la terre avec son marteau ? Que dit Jean-Paul Thibeau, qui frappe avec son marteau contre l’espace creux ? Qu’il n’y a que la parole qui puisse nous entendre. Même parlée, toute la matière se tait. Que dit Jean-Paul Thibeau rebus c’est-à-dire en quoi ? La matière est morte sans qu’on trouve son cadavre.
Que dit Jean-Paul Thibeau qui parle de la matière que nous n’entendons pas ? Que le monde est tombeau vide de mots. Toute la matière est restée là. Lorsque nous appelons, la voix résonne : toute chose ici est le tombeau vide de son nom.
Que dit Jean-Paul Thibeau quand il parle avec des riens ? Il enlève muettement les mots de trop entre les choses. Il prend des choses mortes dans l’espace mort pour les disposer de naissance.Il dispose dans l’espace d’ici ni des sujets ni des objets, mais des appelants . Il dit, rien qu’en posant des cailloux que la parole est celle qui fait tenir les cailloux. Il faut le dire aussi aux pierres et à notre propre crâne qui est comme un caillou au milieu de la pensée.
Texte de Valère Novarina, écrit à l’occasion du catalogue de Jean-Paul Thibeau « Conversations des êtres, des choses et des je-ne-sais-quoi... », Edition de la Galerie Keller, Paris 1990.