Méta-documents d’artistes

Jean-Paul Thibeau, 2012

Il est très difficile pour moi de répondre d’une manière chronologique et complète à une demande de dossier exhaustif sur mes activités d’artiste.

D’une part parce que j’ai réalisé une quantité de choses et d’actions que je n’ai pas répertoriées par détachement ou par simple insouciance. C’est aussi une manière de se dépenser ou de se dissoudre, dans diverses activités artistiques, para-artistiques et méta-artistiques... Je reste inquantifiable et volontairement fragmenté, activant quantité de gestes et de choses que je laisse fuguer au fil de l’eau, au fil du temps. Combinaisons d’activités fugitives et sans bord... Mon activité générale est un entrelacs de lignes de dispersions.

« La dispersion, la tache ne sont ni désagrégation ni transition, elles contiennent plutôt l’ensemble virtuel d’une nouvelle structure qui, dès que son organisation devient discernable et stable, perd ce qu’elle a de meilleur, se voit dépouillée de sa richesse énergétique. Est sujet à la désagrégation ce qui cherche à conserver une ou sa direction. Tout lieu particulier est désagrégation » {note}1

Ici et là,
j’ai quand même conservé quelques photos, quelques textes, quelques catalogues, quelques objets qui constituent une sorte de crête irrégulière et lacunaire...

D’autre part à certaines périodes j’ai détruit beaucoup de documents et d’œuvres, par une nécessité hygiénique de faire le vide. Renforçant ici un parti pris d’écologie mentale et de désœuvrement volontaire (à l’époque de l’hyper-production artistique et de son industrialisation culturelle et financière). J’ai opté plus pour une praxis philosophico-artistique que pour l’incessante fabrication d’artefacts encombrants et réduits à la simple exposition esthétique. Je pratique l’art comme une philosophie de l’existence, une expérience de l’immanence.

J’ai souhaité rester le plus indépendant possible de l’image de l’artiste classique ou moderne et de son idée d’atelier et de carrière. Mon atelier c’est autant la chaise sur laquelle je me repose que les mondes que j’ai parcourus en errant. Ma carrière, ce sont les moments de vie et de respirations que j’ai rencontrés, les activités variées que j’ai traversées, explorant un processus d’existence indéterminé. Développant un être-polype, un processus de devenir en chantier de multitudes et d’exodes divers...

Alors de ce « document d’artiste » il me faut dire qu’il est en soi une méta-archive lacunaire, une anarchive égnimatique... Une nouvelle aire de dispersion du méta-sujet que je deviens au jour le jour, avec ses empreintes fugitives, ses phrases en suspensions, ses liens incessants, ses échappées de gestes... On pourrait y voir une méta-œuvre, mais c’est tout simplement un document (de non-identité) d’un méta-artiste... un méta-radeau de signes... un art de plier bagages et de disparaître...

1(Botho Strauss, L’incommencement. Réflexions sur la tache et la ligne. Arcade/Gallimard, p. 83)

Autres textes à consulter