Mon hypothèse de départ – en lien avec le thème de ce numéro – est que la prise de parole commune n’est pas la saisie d’un pouvoir. A partir du moment où la parole prise n’est pas gardée, elle revient là d’où elle a émergé soit d’un espace incertain. Cette incertitude est-elle le signe d’une faiblesse ? Pour en discuter, notre cadre sera l’objet artistique Au Bord des Protocoles méta, élaboré par Jean-Paul Thibeau en 2001.
I. Introduction de l’objet
Jean-Paul Thibeau ne produit pas d’objet d’art ou de stimulus visuel mais crée des situations et des processus. Les artistes des mouvements et tendances du situationnisme, de Fluxus et de l’art conceptuel, successivement développés de 1950 à 1970, ont introduit cet art sans objet. Bien que chacun ait développé sa propre plastique, des traits communs se dégagent. Tout d’abord, les critères définissant jusque là l’art et son monde sont repensés. Ainsi, la production de l’objet d’art, le statut de l’artiste, le rôle du spectateur, le lieu du discours critique, historique, sociologique, etc. sont mis à l’épreuve dans leurs présupposés. Ensuite, cet effacement de l’objet donne la possibilité d’ouvrir l’art à d’autres disciplines ainsi qu’au flux de la vie quotidienne. L’art sort de son insularité pour « agir » avec la multiplicité des sujets, des savoirs, des idées, etc. Cet art sans objet nécessite aussi de revoir les méthodes d’analyse de l’art comme celle de l’histoire, en empruntant des outils intellectuels à la sociologie, l’anthropologie ou encore la philosophie pragmatique. De cette période artistique, Jean-Paul Thibeau retient principalement les tendances et les mouvements interrogeant le rapport entre l’art et la vie {note}1 Pour lui, l’art n’est pas simplement un moyen de stimuler la vie. L’art est déjà le résultat de cette vie. La vie est conçue « comme une matière à former ». Il propose de fonder une pratique qui « ne ressemble ni à l’art ni à la vie mais est une manière d’interroger les deux. [...] Notre œuvre n’est ni avant, ni après - mais dans cet interstice entre le moment où le monde nous fait et celui où il nous défait... L’art pour nous n’est plus que cela : avoir conscience de cet interstice et de notre co- responsabilité à cet endroit et à ce temps-là... »
Nous n’entrerons pas dans l’analyse esthétique, historique, etc. de la pratique de Jean-Paul Thibeau. Ce n’est pas notre objet. Nous allons porter notre attention sur son projet « Au bord des protocoles méta », démarré en 2001. Ce projet accorde une place singulière à chaque participant. En effet, ce dernier n’a pas de place prédéterminée. Il cherche sa relation aux autres et au projet. Il tâtonne, pour reprendre une expression de Jean-Paul. En ce qui me concerne, j’organise, j’interviens, je coordonne et j’écris sur ce projet depuis 2003. Je peux pratiquer l’une de ces activités ou l’ensemble. Quoi qu’il en soit mon adhésion correspond à deux points. Ce projet me permet, d’une part d’éprouver le bagage scientifique élaboré à partir de la question de l’art sans objet et, d’autre part d’interroger ma participation au groupe. C’est ce dernier point qui sera abordé ici. Au fil des séminaires, mes notes et mes descriptions se sont appuyées sur les observations « participante et naturelle » {note}2. L’intégration au groupe doit se dérouler le plus naturellement possible. Il faut éviter les postures autoritaires, s’adapter auxcorps en présence (sourires, gestes, etc.), user de mots ordinaires etc. Le plus difficile est de se maintenir à la lisière de l’action et de l’observation et ensuite de récupérer le sens de cette activité intellectuelle in situ.
II. Mise en place d’un séminaire « protocles méta »
« Au bord des protocoles méta » est un projet de projet. Il se déploie en fonction des rencontres, des lieux, des occasions, etc. Il peut réunir une dizaine de personnes comme en rassembler une centaine. {note}3 Il peut se tenir dans une institution ou au bord de l’eau. Il n’a pas de forme et de lieu prédéterminés. Sa capacité d’adaptation est garante de sa dynamique, si ce n’est de sa « sur-vie ». Dans chaque séminaire, les participants sont invités à expérimenter des modes de penser et de faire à l’appui de corps, de durées, de concepts, etc. ainsi qu’à réfléchir sur la construction d’une plate-forme d’échanges commune. La grande difficulté pour les participants est de se défaire des emprises hiérarchisantes du savoir, de la parole, du corps, etc. Chacun arrive avec un rôle et/ou une fonction propre au domaine (culturel, social, scientifique ou artistique) dans lequel il opère. Comment lâchez prise ? A quel moment ? Pour aller où ? Des divers séminaires menés avec Jean-Paul Thibeau, j’ai retenu celui dont la parole était le moteur. Ce séminaire s’est déroulé en septembre 2005 à Roubaix dans le Nord de la France. Cette ville a un contexte économique et social singulier. Elle se remet doucement de l’effondrement de ses industries textiles. De nombreux quartiers stigmatisent le désœuvrement. Le taux de chômage y est élevé. Les communautés africaines sont les plus importantes de la Région. Le contexte social et économique est ainsi marqué par la précarité et des questions identitaires. Pour se restructurer, les politiques publiques s’appuient en partie sur les questions de la culture et du social {note}4 . Le séminaire s’est mis en place sur plusieurs mois. Nous avons tout d’abord rencontré des personnalités travaillant pour et dans la ville ou habitant simplement l’un de ses quartiers. Cela nous a permis de constituer un collège de participants hétérogènes comprenant des responsables et des usagers de structures culturelles et sociales, des représentants politiques, des artistes et des scientifiques de diverses disciplines. De ces rencontres, nous avons dégagé les malentendus récurrents tels que le rapport entre les actions d’une structure et les politiques publiques, la question de l’engagement personnel. Il est aussi ressorti une difficulté à valoriser, auprès du politique, la dimension humaine. {note}5 »
De là, nous avons élaboré un séminaire de trois jours. Les interventions des responsables, des usagers de structures et autres étaient ponctuées par celles d’artistes et de scientifiques de diverses disciplines. Le champ réflexif de ces derniers (sociologie du travail, urbanisme/nomadisme, immigration/documentaire) touchait les problèmes perçus lors de nos visites dans la ville. Ces interventions ont ensuite été associées à des protocoles énoncés par Jean-Paul Thibeau. Les protocoles sont globalement des actes performatifs construits à l’appui de corps, de durées, de manières d’être, de concepts, etc. Ils ont pour objet la mise à l’épreuve de modes d’agir et de penser. Ils s’appuient en cela sur le vécu. Il ne s’agit en aucun cas d’apporter des solutions aux malentendus identifiés, aux crises individuelles, etc. Ce n’est pas un art thérapeutique. Il s’agit plutôt d’élaborer en commun, un espace dans lequel les emprises hiérarchisantes seraient temporairement suspendues ; celles-ci étant considérées comme impropres à la création d’un espace de parole commune.
III. Protocole récit d’expérience
J’ai choisi de rendre compte uniquement du protocole récit d’expérience. Ce protocole est proposé par l’artiste dès l’ouverture d’un séminaire. Force est de constater qu’il crée l’espace collectif. Il permet en effet de saisir le moment où le récit individuel devient parole commune et de penser « la forme » de l’espace de la parole constitué.
Dans le séminaire de Roubaix, chaque participant était invité à exposer à l’ensemble du groupe, une expérience (constructive, déstabilisante, ennuyeuse, conflictuelle, etc.) menée dans le cadre de son travail. Il pouvait l’introduire en montrant une vidéo, un livre, des photos, etc. ou simplement l’exposer oralement. Le récit était censé créer un espace de parole commun. Je dis « censé » car cet espace de parole constitué est rare. Une des difficultés majeures est en effet de faire partager une expérience que seul celui qui prend la parole a vécu. Le sociologue pascal Nicolas-le-Strat dit à ce propos : « Le narrateur et ses interlocuteurs se rencontrent autour de cette difficulté : la nécessité de concevoir un nouveau "présent" pour une expérience qui se fait entendre loin de son terrain de réalisation. C’est cette difficulté qui les réunit, c’est cet écart qui les associe - l’écart entre ce qui a été expérimenté et ce qui peut en être dit, l’écart entre l’expérience telle qu’elle a été vécue et l’expérience telle qu’elle est impliquée par le ou les récit(s) proposé(s). {note}6
a) Récit d’expérience de Michèle Sabatier
Pour en rendre compte, je vais exposer le récit d’expérience de Michèle Sabatier. Elle dirige un centre social au cœur d’un quartier d’immigrés à Roubaix. Elle choisit de faire le récit d’une expérience menée avec un collectif de femmes africaines, collectif qu’elle a initié. Elle s’engage dans une narration ponctuée de moments d’émotion. Elle essaie de restituer les échanges entre ses femmes et elle- même, ses heurts, ses pleurs, ses joies. Michèle ne cesse d’amorcer de nouvelles descriptions qui complètent (ou non) les descriptions déjà ébauchées. Nous sentons au fur et à mesure de son récit qu’elle cherche à sortir de ces descriptions sans fin, de cette subjectivité qu’elle n’arrive pas à nous communiquer. Michèle change alors de tactique : elle ouvre son expérience aux interlocuteurs c’est-à-dire qu’elle accepte d’interroger avec les autres ce que son récit implique. De ce changement, nous avons constaté qu’un espace de parole commun émergeait. Ainsi, pour que le récit d’expérience résonne au sein du groupe, un déplacement est nécessaire. Le sociologue Pascal Nicolas-le-Strat souligne que ce déplacement s’opère sur deux plans. « D’abord un déplacement d’objet. C’est le récit en tant que tel, et ses multiples implications de sens, qui devient objet d’échange, de discussion et de confrontation, et non l’expérience en elle-même car, pour l’essentiel, elle demeure inaccessible au groupe. Ensuite un déplacement de lieu. Les participants à la discussion ne disposent pas d’autre lieu que celui inauguré par le récit, à savoir l’espace de la prise de parole, l’espace d’énonciation. Le "lieu" de l’expérience (son contexte, son écosystème, ses déterminations) leur restera étranger quoique le narrateur dise. » En d’autres termes, le narrateur campe à la lisière de deux mondes : l’espace de l’expérience auquel, seul, il accède et l’espace du récit auquel tous les participants accèdent et dans lequel ils vont déambuler librement. La difficulté, pour Michèle, a été de réussir à proportionner son récit. Elle était prise au piège, tentée qu’elle était, de rendre authentiquement présent quelque chose qui ne saurait l’être pour ses interlocuteurs.
b) De l’espace de parole commune constitué à son maintien
Nous comprenons bien ici qu’il appartient au narrateur d’ouvrir l’accès à une expérience qui lui est propre et d’inaugurer un espace de parole (à partir de son récit d’expérience) qui lui échappera nécessairement dès lors que les participants vont l’investir. Dans « la prise de parole et autres écrits politiques », Michel de Certeau écrit : « Il faut non seulement constater mais admettre que nos gestes et notre histoire peuvent nous revenir avec un sens pour nous surprenant, que nos propres mots peuvent dire une expérience non pas contraire (car ce serait le Même), mais différente de la notre qu’ils deviennent l’instrument d’une contestation, le vocabulaire d’autrui. {note}7
A partir du moment où le narrateur laisse libre cours aux interprétations et explications que son récit a suscitées, l’écart entre l’espace de l’expérience vécue et l’espace de l’expérience communiquée ne peut plus être tenu. Les participants se sont emparés de ses mots (seulement de ses mots et certainement pas de son expérience) et les ont constitués en expérience commune. Ils discutent et se confrontent ; ils font écho à d’autres expériences ou aborde l’expérience exposée dans une toute autre perspective.
A partir du moment où l’écart s’efface, nous pouvons dire que le récit d’expérience a fait son œuvre. Il ménage des voies d’accès à partir desquelles chacun peut librement circuler. Le narrateur peut alors choisir de rester silencieux ou comme l’a fait Michèle s’impliquer au même titre que les autres participants, dans cet espace de discussion qui vient d’émerger. Jean-Paul Thibeau conçoit un séminaire en prenant soin de créer un collège de participants hétérogènes. L’hétérogénéité prend son sens lorsque l’espace de parole commune émerge. Car l’entrelacement des voix crée la parole commune. Pour se faire, il est nécessaire que tous les participants puissent prendre la parole. Prenons un exemple qui va à contre sens. Le sénateur Nord Yvan Renar est intervenu après Michèle Sabatier. Il devait aborder, avec des élus de la ville, la question art/politique. Il avait préparé son discours en fonction des élus, qui, il ne le savait pas, seraient absents {note}8. Son discours n’a pas pris. L’espace de parole émergé du récit de Michèle a été gommé par la parole d’Yvan. Car il a introduit une hiérarchie. En rehaussant sa parole, Yvan a déconsidéré celle des autres participants. En d’autres termes, pour que la parole circule, chacun doit parler en son nom propre et pas au nom d’une fonction ou d’un titre. Si le narrateur est le « porte-parole » d’un groupe de pression ou d’une conviction tenue ailleurs, il sort de la parole commune. Prendre la parole dans ce groupe, c’est faire en sorte que les paroles des divers interlocuteurs s’entrelacent. « Les paroles, dit Pascal Nicolas-le-Strat, ne sont pas l’identité d’un seul mais l’identité de la dépossession de l’un et de l’appropriation de l’autre. » Chacun éprouve ce qu’il est dans sa différence avec les autres. En ce sens, le locuteur n’évite pas la différence. Il s’y frotte. A ce titre, le mode de la tactique semble approprié à saisir la constitution d’un espace de parole commun. Selon ce mode, le locuteur montre sa capacité à s’adapter aux autres, aux contextes, aux durées, aux corps, etc. Citons Michel de Certeau à ce propos. « La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Elle s’y insinue, fragmentairement, sans le saisir en son entier, sans pouvoir le tenir à distance. ... Du fait de son non lieu, la tactique dépend du temps, vigilante à y « saisir au vol » des possibilités de profit. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. Il lui faut constamment jouer avec les événements pour en faire des « occasions » {note}9. » La parole crée un espace intermédiaire, à la géographie sans cesse réinventée par l’usage qu’en font les interlocuteurs. Elle s’élabore au présent, dans le temps de l’échange.
IV. La visée de la parole L’espace que la parole représente n’est pas composé d’une seule idée mais d’une constellation d’idées. Cela participe de la difficulté à le cerner mais pas seulement. En effet, son apparition n’est pas prévisible et lorsqu’il émerge, son maintien l’est tout autant. Est-ce que ce devenir incertain est le signe d’une faiblesse ? Si nous partons du principe que la parole est un acte, la signification première de son action est de dire qu’elle ne se reconnaît dans aucun système et par conséquent qu’elle organise des possibles. L’un de ses possibles pourrait être que les interlocuteurs se constituent un langage propre. La tâche de la parole serait alors de viser un style d’échanges définis en terme de production : objets de pensées, objets d’art, actions socioculturelles, etc., de viser un langage qui ne dit pas la réalité. Selon Jacques Rancière : « la politique consiste à reconfigurer le partage du sensible qui définit le commun d’une communauté {note}10 ». Pensons à ce titre au référendum français du 25 mai 2005, sur la constitution européenne. Force a été de constater que la panique générée par ce vote résidait « moins dans le rejet du Traité constitutionnel que dans l’irruption intempestive et ravageuse de ces voix qui avaient été ignorées, réduites au silence ou considérées comme facultatives par les tricoteurs de constitution. {note}11 » Ce vote visait un langage qui ne disait pas la réalité sociale, économique, etc., ne tirait pas du vécu, un nouveau présent. Il visait une politique qui se faisait entendre loin du terrain de l’expérience. La force essentielle de cette parole a été le surgissement, l’intempestif, l’inattendu. Car après le vote, la parole prise n’a pas été gardée. La parole est revenue là d’où elle avait émergé soit d’un espace incertain. En ce sens, la parole peut difficilement être la saisie d’un pouvoir. La parole n’est pas considérée comme ayant une valeur pour elle-même. Elle n’est pas une sorte de magie. Il ne suffit pas de parler pour que toutes les différences, tous les conflits disparaissent. De même, la parole n’est pas considérée comme étant insignifiante ou pour dire un gros mot, gratuite. Car s’il en est ainsi, ce sont les relations humaines qui perdent sens. L’action de la parole est avant tout symbolique. Elle signifie plus qu’elle n’effectue. Dépendante du contexte, des personnes réunies à ce moment là, de la durée de l’action, etc., la parole est incertaine. Elle ne parvient pas à se constituer en langage. Elle peut donc difficilement rivaliser avec le langage institutionnel qui lui a l’avantage d’exister dans des représentations stables {note}12 . Cela dit, la parole a bien un pouvoir. Son pouvoir est de créer, dans une collaboration définie comme un « processus inventif ». En d’autres termes, le pouvoir de la parole est de créer des possibles. Dans les séminaires de Jean-Paul Thibeau, la parole commune est utilisée pour les possibles qu’elle offre. Elle est, selon moi, paradigmatique de la philosophie globale du projet « Au bord des protocoles méta ». Citons, comme en écho, Jean- Paul Thibeau. « Les participants (artiste, politique, public, commanditaire etc.) ne sont pas réunis pour produire une œuvre ou un spectacle commun ; ils sont ensemble pour inventer des modes d’agir, expérimenter des productions de temps et d’actions, sans se soucier d’une forme stable. ... Les protocoles méta sont « des « protocoles en situations », des protocoles qui prennent la forme d’un dispositif de règles arbitraires et provisoires, dont tous les termes et les modes peuvent êtres questionnés et rejoués par les divers protagonistes. {note}13. » Ce projet se construit bien sur la base d’une collaboration définie comme « processus inventif ». Il permet, d’une part de suspendre temporairement les conditionnements du corps, de la pensée, des désirs, etc. et de donner, d’autre part, de l’importante aux forces qui sont déjà là mais qui ne parviennent pas à se constituer en langage. Il offre la possibilité de créer une plate-forme d’échanges commune en transformation constante. Pour se faire, il est nécessaire que cette activité artistique évite le spectaculaire et sa médiatisation. Sa discrétion fournit la base nécessaire à son bon déroulement et sans doute sa principale chance de succès. Car si cette créativité diffuse est placée sous les feux de la rampe, elle perd son propre éclairage. Disons enfin que cette activité artistique – tout comme la parole – existe en tant que proposition d’une politique stimulant le changement et non sur son effet.
Résumé Mon hypothèse de départ est que la prise de parole n’est pas la saisie du pouvoir à partir du moment où elle n’est pas gardée. Pour en discuter, notre cadre sera l’objet artistique Au Bord des Protocoles méta, élaboré par Jean-Paul Thibeau en 2001. Un protocole méta est un dispositif qui réunit, lors de séminaire, des participants hétérogènes autour d’expériences extra-artistiques. L’une de ces expériences a retenu mon attention. Il s’agit des espaces de discussion qui peuvent émerger d’un récit d’expérience. Comment combler l’écart entre expérience vécue (qui ne parle qu’à soi) et expérience communiquée (qui parle aux autres) ? Comment constituer une parole commune ? Que dire de l’espace qu’elle forme ?
CORINNE MELIN Université Marc Bloch, Strasbourg / Avril 2006
1Il se réfère à Allan Kaprow et Robert Filliou, artistes liés à la tendance internationale Fluxus. Dès 1958, l’artiste américain Allan Kaprow développe un art fondé sur l’expérience. Il écrit : « Les problèmes posés par l’expérimentateur sont philosophiques plutôt qu’esthétiques. Ils parlent de questions d’existence plutôt que de sujets artistiques. » in « l’art et la vie confondus », Centre George Pompidou, 1994, p. 99. Dès 1965, l’artiste français Robert Filliou remplace le terme art par la notion de création permanente. Ce processus permet à l’individu de développer ses propres facultés créatrices. « L’art, dit-il, est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »..
2Expression reprise à Erwin Goffman, « Les cadres de l’expérience », Minuit, 1991. Voir aussi l’article « L’organisation sociale de l’expérience », Isaac Joseph, Louis Quéré, 1994. http://multitudes.samizdat.net/L-organisation-sociale-de-l.html
3Le dernier séminaire a réuni une centaine de personnes au Palais de Tokyo à Paris le 25 mars 2006.
4Cette politique favorise le multi-culturalisme ; elle ré-insére dans les institutions culturelles de la ville comme au musée des beaux arts, au théâtre avec la compagnie « L’oiseau mouche » composée principalement d’acteurs handicapés mentaux, etc.
5Non quantifiable, la dimension humaine est trop souvent perçue par les politiques comme irrecevable. Selon les témoins, elle semble pourtant au cœur de nombreuses actions socioculturelles.
6Pascal Nicolas-le-Strat était invité à participer à ce séminaire. Il est maître de conférence en science politique, à Montpellier. Cette citation et les suivantes sont extraites de l’article qui en a suivi. « le récit d’expérience » déc. 2005.
7Michel de Certeau, « La prise de parole et autres écrits politiques », Editions du Seuil, 1994, p. 54.
8Nous ne souhaitions pas le placer dans ce contexte. Les élus se sont décommandés à la dernière minute.
9Michel de Certeau, « L’invention du quotidien. 1. arts de faire », éditions du seuil, 1990 in Introduction générale, p XLVI.
10Jacques Rancière, « Malaise dans l’esthétique », Paris, Galilée, 2004.
11Paris-Art, André Rouillé, « Parole usée, pouvoir sans voix », éditorial, mai 2005.
12Remarquons que les individus utilisant la parole pour se dire, à un moment précis, tendent à rejoindre le cadre socio-économique existant.
13Jean-Paul Thibeau, « Le congrès singulier » séminaire du 25 mars 2006, Palais de Tokyo, Paris