2014
Série de 12 photographies, édition de 3 exemplaires + 2 EA
Photographies numériques, APN hybride
Tirages jet d’encre contrecollé sur dibond à bords francs, châssis au dos, 100 X 150 cm
Dispositif d’exposition
Tirages photographiques présentés sans cartels
Texte au format 100 x 100 cm collé au mur sous forme de lettrage présenté parmi l’accrochage des œuvres
Installation : 4 vidéos projetées, plans fixes, environnement sonore des marais
À quelques kilomètres de Birkenau en Pologne, une vaste étendue de marais fait aujourd’hui partie du réseau Natura 2000, sites européens identifiés pour leur flore et leur faune exceptionnelles.
Dans un ensemble de trois ouvrages intitulé Auschwitz et après, Charlotte Delbo, résistante française déportée en janvier 1943, témoigne qu’en ces lieux des commandos disciplinaires, composés d’opposants et d’indésirables, étaient assujettis à un programme d’anéantissement par le travail. Leur tâche consistait à creuser des fossés de drainage pour assainir ces marais, puis à les fertiliser en y dispersant des cendres humaines.
Le travail détourné de son caractère utilitaire jusqu’au non-sens, le recours à la terreur dans chaque aspect du quotidien constituaient les rouages d’une stratégie de déshumanisation méthodique. Ce plan procédait à la déchéance physique de l’humain, à son dépérissement moral jusqu’à ce qu’il soit vidé de désir, de raison, de mémoire, de faculté de penser, visant ainsi l’anéantissement de sa substance humaine.
De tels procédés, à l’encontre de populations ciblées, sont à l’œuvre dans les tous les systèmes totalitaires.
En mars 2014, je me suis rendue au camp de Birkenau pour rechercher ces marais dont parle Charlotte Delbo. J’ai découvert un vaste territoire d’étangs marécageux, traversé par de nombreux chemins, jouxtés par des terres agricoles fertiles entourées de profonds fossés de drainage.
Éloignés de la monumentale infrastructure du camp, sidérante dans son impensable intention et son inconcevable sur-dimension, ces marais muets et silencieux, dans leur aspect visuel actuel, font écho au sentiment d’absence au monde que fut la vie des survivants, à l’écueil d’une mémoire pétrifiée et à la tâche difficile de décrypter le présent.
Frédérique Bretin
Autre mémoire de l’eau : plan fixe qui n’est pas un paysage. Les images des marais photographiés par Frédérique Bretin se chargent du poids de l’histoire, leur silence est éloquent, comme leur froideur sèche. Ils sont avant tout des miroirs. La photographe est à la recherche d’une puissance d’évocation des lieux et s’affronte à la beauté qui naît de l’horreur. Elle doit fabriquer la distance qui refroidit mais ne renie pas : observez à quel point ces lieux se donnent comme impénétrables. Ils ne sont qu’un reflet, la dure surface d’une glace. C’est la beauté des linceuls raides qui recouvrent la mémoire.
Michel Poivert, à propos de Je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit, 2018
Extrait de l’installation (deux vidéos sur les quatre présentées dans le cadre de l’exposition).
© Adagp, Paris