2015
Série de 13 photographies, édition de 7 exemplaires + 2 EA
Photographies numériques, APN hybride
Tirages jet d’encre contrecollé sur dibond à bords francs, châssis au dos, 40 x 60 cm
Dispositif d’exposition
Tirages photographiques présentés sans cartels
Feuillet de salle A4 plié comportant un texte de présentation du projet ainsi qu’un extrait des témoignages collectés entre février et avril 2015 auprès de personnes ayant été recueillies enfants au couvent de massif et d’habitants.es de Capdenac Gare.
Les dirigeants du IIIe Reich mettent au point les modalités de l’extermination des juifs d’Europe au cours de la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942. L’archevêque de Toulouse Jules-Géraud Saliège prenait position contre les persécutions raciales et la déportation des juifs, dans une lettre rédigée le 22 août 1942 dont il ordonna la lecture dans toutes les paroisses de son diocèse. Dans le même temps, il organisait une filière clandestine pour mettre à l’abri les enfants juifs dans des établissements religieux du Sud-Ouest de la France. À Capdenac-Gare dans l’Aveyron, Madame Denise Bergon, religieuse et directrice de l’école du couvent de Massip, rejoint son réseau. Elle cacha et sauva dans son établissement, entre décembre 1942 et juillet 1944, 83 personnes dont plus de 70 enfants. Durant ces 20 mois, elle effectua de nombreux déplacements et voyages en train pour ramener clandestinement à Massip les enfants qu’elle protégea de la déportation. Après la guerre, elle dirigera durant plusieurs décennies, au couvent de Massip, un Institut médico éducatif pour jeunes filles. Aujourd’hui le lieu demeure en l’état.
J’ai effectué une résidence d’artiste à Capdenac Gare en 2015, au cours de laquelle, j’ai échangé avec des personnes cachées lorsqu’elles étaient enfants, avec des témoins {note}1. J’ai pu accéder à un ensemble de documents relatifs à cette période. Ces éléments ont nourri ma pensée, agi sur mes perceptions, façonné le terreau visuel de ce projet. Ils ont activé les événements de l’Histoire durant mes pérégrinations dans la ville, dans les bâtiments inoccupés de l’ancien couvent, dans les espaces de circulations entre la gare et Massip.
Frédérique Bretin
« J’avais neuf ans et ma sœur quatre, nous sommes arrivées à Massip fin 1942, parmi les premiers enfants. Nous y sommes restées une année, ma petite sœur pleurait beaucoup, alors notre mère est revenue nous chercher et nous sommes rentrées à Toulouse. En avril 44, alors que j’étais à l’école, elles ont été raflées et déportées toutes les deux à Auschwitz ».
Régine C.
« J’ai été arrêtée à l’âge de 16 ans avec mon père en septembre 1941. Nous avons été internés au camp de Mons, près de Tours. En juillet 1942, je me suis évadée et suis allée me réfugier chez ma tante à Toulouse. J’étais recherchée, la milice est venue perquisitionner chez elle début 1943 ; elle a réussi à me faire passer pour une de ses filles absente ce jour là. Puis, nous avons contacté le réseau de l’Archevêque Saliège et j’ai été cachée au couvent de Massip à partir de février ou mars 1943. En juin 1944, avec trois autres dames, madame Bergon nous a cachées durant quatre jours dans un souterrain, sous la chapelle du couvent ».
Annie B.
« Nous sommes arrivés en train ma sœur et moi, en février 1943, madame Bergon nous a convoyés en calèche jusqu’à Massip, il faisait nuit. Nous avons continué à étudier, ma sœur Berthe a passé son certificat d’études à Capdenac ».
Albert S.
« En juin 44, mon père était réquisitionné par les Allemands pour surveiller les voies de chemins de fer la nuit, ils utilisaient la présence de civils pour dissuader les résistants de saboter les rails ».
Madame T.
« Madame Bergon partait souvent et revenait à chaque fois avec d’autres enfants, elle nous les présentait comme des réfugiés lorrains ».
Madame R.
« Mes parents étaient agriculteurs, je me souviens qu’ils ravitaillaient en lait le couvent de Massip. Ici à la ferme, nous avons caché un couple de Hongrois, un jeune Luxembourgeois, un réfugié espagnol et aussi le frère d’une petite fille abritée à Massip par Madame Bergon... Mon frère était réfractaire au STO {note}2, il est resté caché à la maison, les gendarmes prévenaient avant de venir l’arrêter. Avec l’Espagnol ils faisaient tous les deux de l’affichage clandestin et diffusaient des tracts la nuit qu’ils imprimaient ici à la ferme ».
Madame M.
« La ville fut occupée militairement à partir du 2 juin 1944. Une garnison de soldats logeait dans des wagons à quai dans la gare. Des sentinelles étaient postées tous les 20 mètres, il y avait plusieurs barrages un peu partout. Le soir il y avait le couvre-feu, la patrouille circulait plusieurs fois dans la nuit ».
Monsieur G.
« Les gendarmes avaient une drôle de façon de nous faire comprendre qu’ils allaient devoir procéder à l’arrestation de quelqu’un, ils passaient à la boutique et disaient : « Demain, il faudra qu’on aille faire un tour à tel endroit » ainsi, je suis allée prévenir les personnes 2 ou 3 fois avec mon vélo. Un jour, au retour, j’ai croisé les gendarmes en sens inverse qui partaient arrêter le jeune. La famille Perlstein, d’origine juive allemande, et leurs trois enfants, habitait là en face dans les combles de cette maison, ils ont disparu du jour au lendemain. Je ne me souviens pas de l’année de leur disparition, mais je sais que leur acte de décès est revenu d’Allemagne et a été transcrit sur les registres d’état civil de Capdenac ».
Madame V.
© Adagp, Paris