« Début » est une recherche plastique sur les nouvelles matérialités issues des techniques computationnelles. Elle trouve son origine dans le désir d’interroger le contemporain à travers ses formes et sa matérialité. Le projet prend la forme d’une enquête fictionnelle autour de la découverte d’une pierre et se présente sous la forme sculpturale, éditoriale et filmique.
Armand Béhar : Si l’on considère d’une manière basique que l’industrie c’est : « l’ensemble des activités humaines tournées vers la production en série de biens », peut-on dire qu’un artiste qui utilise un moyen de production, issu de l’industrie, fait de la création industrielle ?
Claire Malrieux : La création industrielle est en mouvement perpétuel, elle produit des formes, des services et des comportements. Si j’entretiens une relation étroite dans mon travail avec l’industrie c’est parce que je la considère avant tout comme le vecteur immédiat du monde qui m’entoure ; C’est d’une certaine manière le moyen de travailler en direct avec le contemporain, ses modes de pensée, ses matériaux et ses outils. Cette relation au monde industriel implique un déplacement, des rencontres, une synergie entre plusieurs compétences. C’est ce qui se cristallise à cet endroit qui m’intéresse : un nouveau lieu qui n’appartient à personne, ni à l’industrie, ni à l’artiste, mais qui est le « lieu » de l’œuvre. Pour Début, je cherchais à produire une sculpture qui soit une partie émergente de ce monde industriel souterrain.
Armand Béhar : Tu utilises des techniques innovantes de stéréolithographie dans ton travail. On est loin de l’image d’Epinal de l’artiste dans son atelier...
Claire Malrieux : Je ne sais pas, je fonctionne sans atelier, mais je crois que si j’en avais un, j’aurais fait la même chose. Il y a beaucoup d’artistes qui n’ont dans leur atelier qu’un ordinateur et un téléphone, tout se fait à l’extérieur, en usine ou ailleurs, l’atelier devient un bureau, un espace de pensée. Comme je l’ai dit avant, je voulais produire un objet hanté, un élément qui soit la partie immergée d’un monde plus vaste. Je devais trouver une méthode de travail qui ne soit pas celle du collage ou du mix. Finalement, je crois que j’ai trouvé ce que je cherchais en pratiquant une série de traductions en utilisant comme point d’origine à la formation de cet objet (une pierre) le langage codé du script et la création d’un algorithme spécifique pour une génération de la forme. La forme que j’ai obtenue répond à un code ; elle trouve sa matérialité dans une suite déterminée de chiffres et de conditions (l’algorithme). Elle devient la surface sensible d’un ordre souterrain qui l’anime et répond au langage qui la précède. Elle est véritablement informée. La stéréolithographie est un maillon de la chaîne. Ce qui m’intéresse dans cette technique de fabrication, c’est le grand ensemble auquel elle appartient. Elle permet le passage direct entre le code et la matière.
Armand Béhar : Tu exposes à l’ENSCI Début, un travail composé d’images et de sculptures. Quel est le statut de ces différents éléments ?
Claire Malrieux : Ils ont un statut commun. Je les considère tous, sans hiérarchie, comme matériau ou plutôt comme matière première. Tous ces éléments agissent avec ou contre les autres. Ce qui m’intéresse, dans le mélange de ces matériaux, c’est la richesse et la multiplication des niveaux de lecture. C’est un peu comme un plan cinématographique ; il y a plusieurs strates dans l’image, le proche, l’intermédiaire, le lointain, l’horizon, le ciel ; il faut choisir où l’on regarde ; ainsi, aussitôt qu’on le décide on peut passer du proche au lointain, de l’horizon à l’intermédiaire, etc. Il y a une infinité de combinaisons dans une seule image et comme l’image se modifie, les choix se multiplient, cela devient complètement fou, le spectateur est libre de regarder à l’intérieur de tout ça, c’est fantastique. J’aimerais que mon travail fonctionne un peu de cette façon mais comme je ne fais pas de cinéma, les temps de regards sont différents. La relation au corps n’est pas la même. La relation est aussi mentale que physique. Une image d’archive, un dessin, un objet, un reflet : autant de matériaux que je convoque aussi pour leur physicalité et leur poids. Tous ces éléments sont des indices qui participent au dévoilement d’une histoire en formation.
Armand Béhar : Le récit tient une place importante dans ton travail. Qu’est-ce que Début raconte ?
Claire Malrieux : J’ai décidé de prendre en compte, pour l’installation le lieu d’exposition, c’est pourquoi la première chose que l’on voit est une reproduction de l’accueil de l’école. Il y a donc, dès le départ une vision dédoublée du comptoir, celui réel, fonctionnel de l’école et son reflet dont l’usage déplacé devient le point d’entrée d’un récit éclaté dans le temps et dans l’espace. « Début » ne raconte rien, dans le sens où il n’y a ni début ni fin au sens traditionnel du récit. Il y a autant de récits que de spectateurs car il n’y a pas d’ordre prédéfini dans la lecture des instances en présence. Chaque élément est le reflet, la facette ou l’image de l’atomisation du récit. Un seul élément est donné pour tous : « Au départ il y a une pierre ... ».
Entretien réalisé par Armand Béhar, directeur adjoint du Centre de recherche en design de L’ENSCI-Les Ateliers, dans le cadre de l’exposition « Début », L’ENSCI-Les Ateliers, Paris, 2011.