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Jill Gasparina, 2023

« Youri Gagarine m’est apparu au petit déjeuner ». 
Cette déclaration de Marianne Vieulès fait référence à l’une de ses pièces Breakfast Youri (2019), petit dessin sur pain grillé reprenant la photo iconique du cosmonaute au moment de la fermeture de la capsule Vostok qui l’emmène pour la première fois dans l’espace en avril 1961. Cette pièce appartient à l’une des branches du travail de l’artiste, à savoir le « département spatial » ( un terme qui évoque les fictions institutionnelles de l’artiste belge Marcel Broodhaerts, qui au tournant des années 1970 travaille sur un vrai-faux Musée d’Art Moderne). C’est autour des œuvres de ce « département » que l’artiste a imaginé l’exposition À 13 milliards d’années lumière

Nourries par le cinéma, la science-fiction, mais aussi par l’histoire des technologies, celles-ci ont pour caractéristique d’associer l’imaginaire du spatial à une dimension proprement terrestre, qui tient le plus souvent de la représentation de la vie quotidienne, non dénuée d’une certaine trivialité. My JPL, par exemple, est un laboratoire de performances où l’artiste « essaie de faire voler des choses », une version basse technologie du Jet Propulsion Laboratory, l’un des plus gros centres de recherche de la NASA basé en Californie, et spécialisé dans l’exploration robotisée du système solaire. Elle a, dans ce cadre, expédié des œufs au plat à près de 27 m d’altitude (!), ou fait léviter une couverture de survie. L’exploration de Mars peut attendre. Autre exemple, Marianne Vieules a réalisé une serre qui renvoie aux recherches sur les systèmes de support-vie régénératifs menées dans le cadre de programmes de vol de longue distance, ainsi qu’à toute l’iconographie du cinéma de SF qui s’en inspire, de Silent Running (1972) à Sunshine (2007). Mais dans le même temps, elle évoque, par son échelle, ses matériaux et sa dimension pauvre, cette activité toute terrestre que constitue le jardinage du dimanche. L’artiste revendique justement son appartenance au monde des amateurs, et explique avec humour avoir suivi, lors d’un échange universitaire à Concordia, au Canada, des cours d’ingénierie aérospatiale, « le seul moment un peu scientifique de toute [s]a vie. » « Je travaille sur l’impossibilité d’y aller », explique-t-elle encore, à propos de sa fascination pour l’imaginaire de l’espace. 
Ainsi, par delà ce tropisme extraterrestre qu’on retrouve encore dans le poème génératif You Are an Astronaut, ou dans le jeu Waw !, inspiré du baseball autant que par les pratiques de communautés ovniphiles, ce qui ressort peut-être le plus de son travail, c’est la défense de cette faculté essentielle que constitue l’imagination. Le fond vert des galaxies nous le montre : imaginer suffit. Ce goût se traduit également dans ses recherches, marquées par le féminisme, sur l’histoire des femmes dans l’informatique (absentes de l’exposition) : il est aussi difficile aujourd’hui d’imaginer une société égalitaire que l’installation longue durée d’un groupe d’humains sur la surface de la Lune ou de Mars. 
On comprendra alors mieux cette laconique bio, affichée sur son site web : « Marianne Vieules/ lives and works on Earth ». En quelques mots, il s’agit de manifester la dimension cosmique de notre situation planétaire, un petit point bleu pâle insignifiant au milieu du grand tout, en rappelant fermement que cet ancrage terrestre nous définit totalement.

Texte écrit à l’occasion de l’exposition À 13 milliards d’années lumières au Centre d’art Chasse spleen

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