Après le Big-Bang

Didier Arnaudet, 2022

Marianne Vieulès nous convie à une exploration d’un espace inconnu, imprévisible et pourtant étrangement familier, qui découle de la science et de ses applications technologiques, de la fiction littéraire, cinématographique et de ses mécanismes d’extrapolation, de projection et d’extension. C’est un espace narratif tout autant qu’un espace de création dans lequel même le vide devient une présence. Cet espace, réceptacle d’astres distants, nous l’expérimentons à travers les connaissances accumulées par la conquête spatiale mais aussi dans les méandres de nos imaginaires peuplés de vaisseaux à vitesse supérieure à celle de la lumière et de planètes en révolution qui s’attirent, se repoussent et tournent sur elles-mêmes, abritant peut-être des civilisations extraterrestres. Mais pour atteindre ces astres lointains, encore faut-il traverser l’espace interstellaire dont les dimensions dépassent toute capacité d’appréhension par l’esprit humain. Marianne Vieulès puise dans ce réservoir où s’entremêlent la vérité romanesque et la fiction scientifique, le temps protéiforme, multidirectionnel et subjectif, les transgressions, les résurgences et les hantises, les figures spectrales, les possibles paradoxaux et les déchirures irréversibles.
Son exposition intitulée À 13 milliards d’années-lumière nous propulse, après l’explosion d’un néant, au cœur de cette matière noire dans l’Univers qui n’était pas encore devenu transparent à la lumière, et nous entraîne dans cette fabuleuse histoire de la formation des galaxies, de leur dynamique et de leur évolution depuis le Big Bang. Elle se déploie comme un archipel de propositions poétiques, fictionnelles ou scientifiques qui s’ébranlent, s’incarnent et se transmuent en une substance singulière, formidablement vivante. Ainsi l’investigation d’un trou noir, l’odeur du popcorn, le lien entre les règles du baseball et l’apparition de signes extraterrestres, le décollage d’une couverture de survie, le portrait de Youri Gagarine sur un pain grillé, l’heure affichée dans les différentes planètes du système solaire, l’enseigne du cinéma Comète, la chute d’une météorite, la serre comme système de support de vie régénératif et la calamiteuse adaptation vidéoludique du film de Spielberg E.T. produisent une effervescence qui, tout en assumant son incongruité, captive par le jaillissement de sensations brutes et denses en abolissant toute frontière et en agissant activement sur le spectateur. Marianne Vieulès propose une démultiplication foisonnante des investigations sans pour autant céder à la dispersion ou à l’accumulation. Les miroirs qu’elle explore sont certes des miroirs brisés, offrant des réfractions obliques permettant à toutes les virtualités d’exister, mais sans jamais perdre la direction de la cible visée. À partir d’une position terrestre bien affirmée, elle sonde les profondeurs de l’origine, là où le réel est encore hors d’atteinte, là où tout part et où tout revient, et, tout en glissant à la surface du présent, maintient sous pression un futur en chantier.

Article paru dans JunkPage n°89

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