Traverses 974

 {quelquessignesdupresent}, 2002-2005
quelquessignesdupresent, 2002-2005
jalma/languet/périer
Performance, Halle de Jeumon, St Denis, Île de la Réunion, 2002

 

Le sommeil du dodo

L’aventure de quelquessignesduprésent se noue à l’intersection de trois itinéraires. Trois artistes s’interrogent ensemble, chacun avec leur langage, sur le sens de leur présence à l’autre, et, plus radicalement, sur le sens du métropolitain face au créole cafre, d’un certain pouvoir occidental face au mystère mais aussi face à ce marginal pourtant constitutif de la société créole, le Cafre. Celui que poursuit une origine effacée par l’histoire mais que sa physionomie et sa place, dans la société réunionnaise, immobilisent dans une nomination vécue comme infamante. C’est bien Christian Jalma [Voir le portrait de Herstory Christian Jalma dit Pink Floyd] qui, le premier, fait converger les regards vers son travail. Poète d’une langue française bien étrange, il en est pourtant comme prisonnier. Jalma ne dit pas ses mots. Dans sa bouche, ils trébuchent et restent souvent difficilement audibles. Jalma, inventeur d’un langage de mots à entendre, ne peut pas dire sa langue. Mais il est présent, partout, avec d’autres langages. Il emprunte ainsi aux arts plastiques pour des performances où il met son corps en scène dans un récit poétique et totalement incarné de son histoire. Les bouteilles de « dodo » {note}1 vides – mais où est donc passé toute cette bière et qu’a-t-elle endormi ? – deviennent ici de bien jolis cadavres dans cet ordonnancement quasi design, quasi publicitaire. Benoît Périer interroge à son tour cette présence de Jalma et puis sa propre présence à la Réunion. Et puis ce signe contradictoire qui marque l’île : qu’est-ce donc que ce dodo rieur, devenu un signe sympathique qui ponctue les murs des villes de l’île et que l’on retrouve avec plaisir ? Qu’est-ce que cet oiseau-emblème que l’on dessine proprement aux côtés de Coca-Cola, et qui parle d’un oiseau exterminé par les habitants de la Réunion ? De quoi nous parle ce joli volatile stylisé, qui marque des bouteilles de cette bière qui enrôle tant de monde dans l’alcoolisme à la Réunion (et dont les Cafres sont les premières victimes)  ?

Éric Languet [Voir son portrait] propose le corps comme matériau commun : le chorégraphe entraîne dans son mouvement ces autres corps peu habiles à naviguer entre les obstacles matériels mais qui, chacun dans leur maladresse, dans leur présence propre, peuvent tenter d’être là, d’égal à égal, ou presque. Étrange affaire que ce sentiment partagé qu’une aventure doit être vécue, sans que le propos ne s’énonce clairement, comme s’il y avait là plusieurs quêtes qui se rejoignaient. Signes qui disent le contraire de ce qu’ils symbolisent, mots qui ne parviennent pas à être portés par leur propre auteur... Il y a peut-être de la réparation dans l’air, mais qui répare qui ? Il y a une confrontation des origines, un concentré d’histoire humaine, où savoir que l’on sait et que l’autre sait ne suffit pas à se comprendre et à parler la même langue. Il y a un poète qui pose des questions auxquelles il est mortel d’avoir la réponse. Il y a un désir de (re)donner la parole à celui qui semble vouloir la prendre mais qui peine à s’en emparer tout à fait. Il y a un choc des cultures, où il faut apprendre à cheminer vers l’autre et vers soi, accepter les confrontations.

Les trois acteurs de cette aventure ne savent pas très bien ce qu’ils expérimentent en eux-mêmes. Ils sentent la nécessité de se retrouver pour travailler et savent que c’est dans le processus des corps qui testent et qui tentent de fabriquer une langue partagée que des éléments viendront – peut-être – mieux éclairer cette question qui les hante : où sont nos fantômes ? Comment vivre sans eux pour commencer à vivre un peu ensemble ?

Irène Miroir

2003

 

{quelquessignesdupresent}, 2002-2005
quelquessignesdupresent, 2002-2005
jalma/languet/périer
Vidéo de travail, Mini DV, Pal, Coul. muet, 1’41”.
Résidence de création, Scène conventionnée Les Bambous, St Benoît, Île de la Réunion
{{ {quelquessignesdupresent}, 2002-2005 }}
quelquessignesdupresent, 2002-2005
jalma/languet/périer
Performance, vidéo de travail, Mini DV, Pal, Coul. son, 7’41”.
Lieu ritualisé des combats de coqs, Centre d’Intervention Culturelle de Saint-André, Île de la Réunion, 2002.
{{ {quelquessignesdupresent}, 2002-2005 }}
quelquessignesdupresent, 2002-2005
jalma/languet/périer
Vidéo de travail, Mini DV, Pal, Coul. son, 1’41”.
Résidence de création, Cité internationale des Arts, Paris, 2004.
{quelquessignesdupresent}, 2002-2005
quelquessignesdupresent, 2002-2005
jalma/languet/périer.
Performeuse : Mariyya Évrard
Performance, Mini DV, Pal, Coul. son, 1’57”.
Résidence de création, Théâtre du Grand Marché/CDN de l’Océan Indien, Saint Denis, 2005.

 

TRAVERSE 974
Laboratoire de recherche transdisciplinaire créé en 2005
Île de la Réunion

Pas de hiérarchie entre les disciplines, pas de finalités pré-établies en matière de production.

Le laboratoire est un temps de recherche avant tout où chacun apporte au groupe ses références, sa sensibilité, mais aussi ses méthodes de travail, souvent non seulement personnelles mais aussi très liées à sa discipline d’origine. L’expérience de plusieurs d’entre nous dans quelquessignesduprésent nous a instruit sur nos réflexes méthodologiques et sur l’enjeu du déplacement, de l’emprunt, de l’endroit où nos langages se rejoignent et de ceux où l’on s’isole. Il ne s’agira pas de construire l’espace du consensus mais de chercher ensemble comment nos approches peuvent se nourrir les unes des autres et comment de la rencontre de ces langages, de nouveaux espaces et de nouvelles modalités d’expression peuvent surgir. Nous proposons sur ce premier laboratoire un mode opératoire qui initiera notre travail collectif et qui emprunte au pédagogue. La plupart d’entre nous ont en effet une pratique d’enseignant, souvent régulière. Elle se confronte en revanche, aux limites des étudiants et des cadres de nos lieux d’enseignement. Dans le laboratoire, ces limites sont en partie repoussées, parce qu’il s’agit d’un espace de liberté que nous nous construisons, et où il ne dépendra que de nous d’identifier et de traverser les endroits de résistance.

Ce mode opératoire sera le suivant : Chacun des acteurs impliqués devra apporter en début de séance de laboratoire :
des références d’œuvres ou d’expériences vécues qui appellent la thématique
des mots qui parlent (de) l’enfermement
une proposition personnelle
une proposition d’exercice, de jeu, qui implique les autres.

 

{{ {Scories}, 2006 }}
Scories, 2006
Mariyya Évrard, danseuse/Yannick Franck, plasticien sonore/Éric Languet, chorégraphe/Benoît Périer, performer
Performance, Extrait Mini DV, Pal, Coul. muet, 1’41”.
Résidence de recherche, Plaine des sables, Île de la Réunion, 2006.
{{ {Expérimentations Danse contact}, 2006 }}
Expérimentations Danse contact, 2006
Mariyya Évrard, danseuse/Yannick Franck, plasticien sonore/Éric Languet, chorégraphe/Benoît Périer, performer
Résidence de recherche, Artothèque, Saint Denis, Île de la Réunion, 2006.

 

Laboratoire « Enfermement »

Le choix d’une recherche sur la notion d’enfermement procède d’expériences variées que nous vivons au cœur de l’espace réunionnais et qu’il nous est apparu opportun d’explorer, que nous soyons réunionnais, nés ailleurs dans l’Océan Indien, immigrants de longue date ou transplants récent de métropole. Étouffement, contrainte, limites, isolement, métamorphoses de l’individu dans une société dont l’histoire complexe semble se complexifier toujours un peu plus et s’opacifier sous le vernis de modèles de modernité plaqués et importés : comment appréhendons-nous notre parcours – notre passage ? – sur l’île ? Nous voulons interroger sa société, notre regard et notre participation – de gré ou de force – à son organisation spatiale, sociale, culturelle et économique. Des notions telles que le syndrome d’insularité pourront constituer des amorces de réflexion. Une définition était exposée au musée d’histoire naturelle de Saint-Denis dans le cadre d’une exposition sur la biodiversité en 2004 : « Sur les îles, en présence de niches écologiques peu saturées, en l’absence de prédateurs et de compétiteurs, les organismes ont développé des particularités convergentes. Celles-ci se traduisent par un changement de taille, une économie des structures de dispersion et de défense, une démographie ralentie, une modification dans l’exploitation des ressources alimentaires et parfois de nouveaux comportements. Ces modifications augmentent avec la durée d’isolement, la distance au continent et la surface de l’île ». De son côté, André Scherer questionne très radicalement le sens de la présence de l’homme à la Réunion dès l’introduction de son ouvrage sur La Réunion (Que sais-je, PUF, 1998) : « La Providence dans sa sagesse, avait sans doute prévu que cette île sans nom resterait inhabitée ; Colbert dans son bureau, en décida autrement. Ainsi fut scellé le sort de quelques millions d’hommes et de femmes et furent posés des problèmes qui, aujourd’hui encore, n’ont pas tous trouvé leur solution ». L’approche ethnologique et anthropologique viendra en effet nourrir notre recherche artistique. L’approche historique et littéraire sera également nécessaire, en particulier pour questionner les représentations de l’île dans nos imaginaires et leur confrontation avec le quotidien.

 

{{ {SOUS-VIDE}, 2006 }}
SOUS-VIDE, 2006
Mariyya Évrard, danseuse/Yannick Franck, plasticien sonore/Éric Languet, chorégraphe/Benoît Périer, performer
Performance, Mini DV, Pal, Coul. muet, 9’46”.
Résidence de recherche, Le Séchoir/Scène conventionnée, Île de la Réunion, 2006.

1La « dodo » : bière officiellement nommé Bourbon dont le surnom provient de son identité visuelle qui emprunte sous forme de blason l’oiseau mythique de La Réunion (le dodo) exterminé par les premiers colons de l’île.