Article paru dans la revue Vie des Arts, Volume 18, numéro 71, été 1973
Il y a peu de peintres canadiens du Québec dont les œuvres soient dans les collections du Musée d’art moderne de New York, du Guggenheim, de la Chase Manhattan Bank et qui aient participé successivement aux expositions de la Biennale de Venise, de Carnegie International et de Ros International. C’est pourtant le cas de Pierre Clerk qui vécut pendant plusieurs années à Saint-Hilaire, région renommée pour ses pommes et pour ses grands peintres, tels que Paul-Émile Borduas et Ozias Leduc.
D’ailleurs, Clerk a bien connu le vieil Ozias Leduc, qui était un ami de la famille. Durant toute sa jeunesse, il a vécu entouré des œuvres du maître et il croit que cette présence n’est peut-être pas étrangère à sa vocation de peintre. Il se souvient également du temps où Riopelle et certains autres membres du groupe des automatistes participaient à la cueillette des pommes dans le verger de son père, architecte et inventeur, qui s’adonne lui-même, de temps à autre, à des expériences picturales.
Depuis plusieurs années, Pierre Clerk vit à New York dans un loft du Bowery, dans le voisinage d’autres artistes américain
es très connu es. C’est dans ce secteur également que plusieurs galeries importantes ont pris possession de vastes espaces d’exposition, dans des immeubles remis à neuf, qui font paraître encore plus vétustes les maisons croulantes des environs. Dans ce quartier populaire négligé, le travail de Pierre Clerk apparait comme celui d’un urbaniste solitaire et utopiste qui rêve sur ses épures, Je me réfère ici a ses œuvres géométriques et hard-edge en noir et blanc qui représentent la plus grande partie ce sa production depuis 1970.Clerk ne cache pas son admiration pour certains artistes du Bauhaus, ainsi que pour Mondrian, bien que sa problématique soit bien différente de ce dernier. C’est par un certain esprit de modernité, au sens presque architectural du mot qu’on pourrait le rattacher à tout un mouvement géometriste qui va des peintres russes de la Révolution aux artistes américain
es que l’on a regroupés sous le terme assez flou de minimal. Je dis qu’il s’agit d’un terme flou, car sous cette dénomination, dans certaines anthologies américaines, on fait voisiner des recherches aussi différentes que celles de Duchamp et de Giacometti, de Caro et de Warhol, de Rauschenberg et de Agam, ainsi que les expériences en art cinétique.Pour revenir à Clerk, on a souvent fait le rapprochement entre ses tableaux et l’agencement géométrique des voies de circulation aux abords des grandes villes, autoroutes, échangeurs, highways tracés au compas et surélevés, etc. C’est, en effet, une des impressions qu’on peut avoir, à première vue, devant les agencements courbes et rectilignes qui animent ses tableaux. Cependant, s’il ne s’agissait que de cela, nous aurions affaire à un photographisme banal, à une sorte de copie conforme d’une réalité toujours présente dans la vie quotidien des automobilistes urbain
es.À mon avis, l’art de Pierre Clerk relève beaucoup plus ď’une espèce de mathématique des formes, d’une topologie plutôt que d’une topographie. Qu’il s’agisse de courbes de droites, leur entrelacement crée une ou dynamique directionnelle, en même temps qu’un espace illusoire à trois dimensions. Ses tableaux se caractérisent souvent par une construction stable, au travers de laquelle passe un vecteur. Cela crée un champ de force qui atteint son énergie maximum aux points de rencontre des lignes dynamiques et statiques. Pour permettre l’éclatement des formes et leur projection dans un espace imaginaire, l’artiste utilise parfois un tableau rond ou ovale. On peut alors se représenter les lignes courbes comme se refermant quelque part, dans un autre espace, en cercles complets, et même des parallèles se rencontrant ou divergeant dans un infini comme diraient les mathématicien
nes !Bien sur, nous n’avons pas affaire à des objets mathématiques et tout rapprochement avec ces derniers ne peut que servir prolonger les impressions premières d’une réalité plastique qui se situe au cœur même de la vie contemporaine, où la ville est perçue comme une espèce de sur-nature qui oblige l’homme à créer à partir de ses propres créations. Ceci nous autoriserait à considérer toute une période de l’art contemporain américain (et c’est particulièrement évident pour le pop art) comme la transposition d’un néo-réalisme urbain.
Les tableaux en noir et blanc de Clerk pourraient nous laisser la fausse impression que l’artiste se méfie de la couleur. Ce parti-pris est assez récent dans son évolution, et il sert à donner plus de clarté et plus de force percutante à son statement. Comme la plupart des artistes de sa génération, Clerk est passé du figuratif au non-figuratif, puis d’une abstraction lyrique (ou de l’abstract expressionnism, comme disent les Américains) à une hard-edge géométrique.
Toute sa période abstraite antérieure est très colorée, mais on y voit apparaître peu à peu des zones noires et des éléments géométriques qui indiquent son cheminement vers une plus grande généralisation des formes. D’ailleurs, il a réalisé parallèlement à ses tableaux en noir et blanc une abondante suite de sérigraphies où, à l’intérieur de formes simples, vibrent de belles couleurs.
À New York, où les écoles apparaissent et disparaissent au rythme des humeurs de la critique ou des engouements passagers, Pierre Clerk poursuit une carrière dont l’évolution s’accorde à sa recherche personnelle et à sa propre sensibilité, ce qui n’est pas un mince mérite.