[...] L’opéra raconte l’histoire d’Enée, un guerrier héroïque de retour de la Guerre de Troie. Avec son armée, il fait escale à Carthage et tombe amoureux de sa reine, Didon. Mais les Sorcières, figures du Mal, en décident autrement et élaborent un plan pour abolir cette union et pousser Didon vers sa chute.
L’enjeu principal de The loves of Æneas en tant qu’artiste vidéaste et réalisatrice est la
construction d’un récit en images sur une pièce musicale riche de près d’une heure.
Pour ne pas tomber dans l’illustration ou l’objet « clip musical », j’ai décidé de
reprendre certains codes du genre de la comédie musicale et de limiter les personnages principaux. Ainsi, les chanteurs deviennent acteurs et l’utilisation du playback ou du chant a cappella trouvent un réel intérêt dans la collaboration avec un ensemble de musique classique.
Le sous-titrage permanent des textes des chants du livret de Nahum Tate tout au long du film, permet d’ancrer les éléments historiques, humains et politiques importants de l’histoire. Cela m’autorise une mise en scène plus elliptique, découpée et contemporaine.
Après de longues recherches sur les mises en scène théâtrales filmées et les nombreuses versions de cette tragédie, j’ai décidé de me concentrer sur la notion de territoire et les conflits intérieurs et extérieurs que traversent les personnages. L’image est polysémique : la caméra va « fouiller » la nature et ses recoins, autant que les parties du corps et des vêtements, pour en extraire des textures et des couleurs. Ce sont donc moins la force et la faiblesse de l’humain face à l’environnement qui m’intéressent, que les aspects organiques qu’ils partagent. La dureté du paysage devient la figure des destins des personnages. [...]
Laure Subreville, entretien (extrait).
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Écrits.
Laure Subreville, « Réflexions sur le statut de la musique dans le film », 2023
Le parti-pris d’un film sans dialogue est difficile à tenir pour construire une vraie relation et une profondeur dans mes personnages. Réduire les rôles à l’image, à seulement trois personnages, n’est pas aisé non plus. C’est pour cela que la musique joue un rôle essentiel dans mon écriture : c’est une référence, un rôle, une transition, un sous-texte historique et même une forme de langage.
Je différencie plusieurs musiques et statuts musicaux au sein même de mon film. D’abord, la musique drone électronique est une déformation musicale et une création à partir de l’album de l’opéra. Elle me permet de créer du suspens, d’annoncer les visions d’Énée et les apparitions de Didon. C’est un passage plus contemporain et libre d’interprétation. Ensuite, les morceaux de l’opéra directement insérés dans le film, sont une manière d’y faire référence, de créer un pont entre ces deux objets : le film et l’album. Je voulais à tout prix éviter de faire une sorte de long clip d’illustration de l’opéra. En opérant par touches, mon film acquiert une vraie position en parallèle et la musique devient plutôt une forme de réminiscence et de citation. C’est un jeu d’équilibre permanent.
© Adagp, Paris