Le rapport qu’entretient Vincent Carlier avec son environnement est décisif dans la genèse de ses oeuvres. Comme il me l’a décrit, à Séoul dans une ville en pleine expansion économique où les produits manufacturés sont de plus en plus abordables, les livreurs en moto continuent de bricoler des portes bagages invraisemblables dans la plus salvatrice ignorance des produits bon marché qu’ils pourraient acquérir. Lors de son séjour dans la capitale coréenne, ce phénomène le fascine et prend la forme de prises de notes, de croquis et de photographies. Cet ensemble d’études, cette archéologie d’une pratique de customisation qui passe là-bas inaperçue, va réapparaître un peu plus tard à Montflanquin, autant dire aux antipodes de Séoul. C’est frappant ; l’extrême beauté et l’apparent mutisme des sculptures issues de l’impalpable distance entre ce qui est montré et ses origines. « Les pertes d’informations, les approximations formelles, l’inadéquation des matériaux » conditionnent le résultat d’un processus créatif qui s’est risqué au déplacement. Bien plus encore, l’entropie inévitable entre l’objet d’un intérêt et sa reformulation acquiert une grâce toute particulière. Vincent Carlier use ainsi du devenir des choses inapparentes qui est parfois de transparaître.
Au moment où de nombreux couloirs aériens européens sont fermés en raison de l’éruption d’un volcan islandais et pendant que l’attention de chacun est principalement tournée vers Eyjafjöll, Vincent Carlier distille soigneusement les eaux de pluie récoltées au passage en France des nuages volcaniques et en extrait un petit tas de « cendres ». Si l’entropie cède ici le pas à l’alchimie, le résultat demeure. Il est d’une sensibilité pleine de retenue et désamorce un évènement éminemment spectaculaire. Les cendres ont conquis une nouvelle dimension et une certaine autonomie. L’extra-ordinaire se fond dans l’ordinaire, ils absorbent l’un et l’autre les limites qui les séparent et provoquent des impressions poétiques ambivalentes.
Au gré des oeuvres réalisées différents mécanisme d’évocation s’organisent. A travers « P’ungsu display » Vincent Carlier s’approprie une pratique ancestrale en sollicitant l’Intervention d’un maître feng shui pour élaborer l’accrochage d’une exposition. La disposition des oeuvres suit les règles d’un art divinatoire basé sur l’étude des sources d’énergie. Le dessin réalisé est réutilisé pour servir d’image de couverture à son catalogue et se déploie comme une sorte de prolégomènes invisible. Ce n’est certainement pas anecdotique. En effet, la partie la plus récente du travail se préoccupe beaucoup de la question de l’immatériel. « Adèle et Lucie » est à ce sujet assez exemplaire. Ce tirage photographique tente de matérialiser l’intangible signal wow. Ici, l’immatérialité de la fréquence radio captée dans les années 70 rencontre la faculté de ressentir des sensations inconnues qu’offre la synesthésie à certains individus. Le signal invisible se transforme alors en un dégradé de couleurs et trouve ainsi une expression.
Le visible est composé d’une richesse souterraine insensée dans laquelle Vincent Carlier se fraie un chemin. Il se confronte à la perte aux abords de logiques entropiques. Au bénéfice de l’alchimie, il récolte des indices et lorsque le vide se présente à lui, c’est avec un naturel troublant qu’il en dessine les contours. Sa démarche accroît notre vigilance et place l’interprétation de notre regard en dehors d’une simple vision. Au fond, je pense qu’elle engage notre acuité à observer ce qui se cache autour de nous. Elle puise dans les creux, dans les oublis et dans les plis erratiques que dessine involontairement notre quotidien.
Texte de Martial Déflacieux