Dans ses oeuvres, Vincent Carlier s’attache au commun transformé en extraordinaire, aux éléments ponctuant notre quotidien qui échappent à notre regard, engendrant ainsi confrontations insolites et images déconcertantes. En amont de chaque production, documentation et observation constituent le coeur de son processus créatif. Pour Saint-Flour, l’artiste s’est penché sur le volcanisme en Auvergne. Ses investigations l’ont mené à la découverte de la présence de palmiers sur le plateau du Massif Central au cours des ères secondaires et tertiaires, disparus ensuite à cause du refroidissement du climat. L’arbre fut le témoin de la formation des volcans et du basalte, roche si caractéristique de la région.
Saint-Flour voit donc le palmier à nouveau occuper son territoire. Vincent Carlier opère néanmoins un retournement de situation en le positionnant à l’horizontale, émergeant de la fenêtre d’une bâtisse en basalte. Véhiculant aujourd’hui dans notre imagination collective une nature sauvage, des destinations ensoleillées ou encore une imagerie frisant parfois le kitsch, le palmier constituait l’un des motifs végétaux les plus représentés dans l’antiquité. Vincent Carlier allie le vernaculaire, présent par la minéralité propre à la ville, et un exotisme diffus et lointain. Il synthétise un paysage, à l’image de son oeuvre Paysage emprunté (2013) où il s’inspire du jardin sec du Ryoan-ji (Kyoto), les graviers étant remplacés par de la ouate de cellulose, les rochers par des morceaux de parpaings et de carreaux de plâtre. L’artiste interprète à sa façon le mitate japonais, système de représentation imaginaire utilisé entre autres dans la constitution des jardins japonais. Signifiant « instituer par le regard », le mitate attise l’imaginaire collectif, la nature n’étant pas imitée mais créée, par allusion et évocation, par celui qui la regarde.
Ici, la synthèse côtoie le synthétique, le palmier étant constitué de résine et de plastique. Le factice accentue cette esthétique paysagère standardisée et stéréotypée. Car l’oeuvre de Vincent Carlier, parce qu’elle est illusoire, abonde dans le sens du sociologue et historien Norbert Elias qui précisait que la notion même de paysage s’éloigne de l’idée reçue d’une nature iconique que l’on pourrait qualifier de sauvage tant le territoire a été transformé par l’homme. Le paysage est en ce sens un artefact et une représentation, une construction culturelle et sociale, à l’image de ce palmier greffé sur le bâtiment. « Le paysage, tel qu’il existe dans notre tête, est un paysage figé, immobile ; c’est une image. » {note}1. La démarche de Vincent Carlier s’approche en cela d’une pratique photographique à différents degrés. Il capture à la fois un objet paysager et en produit un cliché de carte postale, que notre mémoire collective identifie. Il opère également un cadrage et offre un angle de vue. Selon Gombrich, l’innocence du regard est un mythe, à l’instar de Michel Butor pour qui « la vision n’est jamais pure vision ». Elle est dirigée par des modèles que nous projetons sur ce que nous observons. Par le simple assemblage d’un faux palmier et du basalte, Vincent Carlier convoque notre mémoire paysagère, il nous invite à regarder une image qui nous transporte vers un anachronisme topographique. Cet ensemble de signes forme, selon l’expression de Julien Gracq, un paysagehistoire que notre imaginaire s’approprie, car « on rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient, tout paysage est un paysage onirique » {note}2.
Texte de Karen Tanguy