Lyse Fournier

vue par

Henri Guette

Lyse Fournier, la part du ciel

Rien de plus changeant qu’un paysage. Le passage d’un nuage, un rayon de soleil ou même l’orage suffisent à lui donner un caractère différent. Le paysage c’est la perception d’un territoire, un cadrage culturellement construit qui nous pousse souvent à regarder à côté des pylônes électriques et des antennes qui le quadrillent. C’est une histoire de représentations qui peut avoir quelque chose de paralysant et le travail de Lyse Fournier s’apparente pour une part à un travail de déconstruction. L’artiste s’est dans un premier temps plongé dans l’image et avec La Ruée, a commencé à reprendre des détails des clichés du photographe-éditeur Sartony qui ont beaucoup servi pour la publicité. Dans cette œuvre de 2018, composée d’impressions sur plexiglass, le motif se brouille et les remous de l’eau apparaissent sans bords. Il n’y a pas de cascade, pas de rivière ou de lacs pour les retenir mais un mouvement du paysage que rien ne contient plus. Un lieu abstrait, un “temps flottant”.

Le support de l’image est une question récurrente dans l’œuvre de Lyse Fournier. Dans les sculptures satellites dont le principe semble déjà amorcées par Concrétions, des armatures métalliques jouent tout à la fois le rôle de structure et de sculpture. Des ferronneries rappellent celles d’un balcon dans De ma fenêtre (2021), des élancements jouent avec la fonction d’un paratonnerre dans Dernières heures (2019). On pourrait encore songer à un anémomètre avec l’installation extérieure Sizigie (2020) et cette stabilité, ce vocabulaire formel de la station météo, semble nous amener à prendre la mesure du ciel et de nos dérisoires efforts de le domestiquer. Quand l’artiste intervient dans l’espace d’une galerie, elle y installe une tension du sol au plafond avec Jet Stream #1 (2020) et fige à portée du corps des phénomènes optiques d’ordinaires fugitifs. L’impression sur métal restitue bien un éclat, joue avec la lumière comme pourrait le faire un vitrail ; elle crée une approche qui décentre le regard.

L’utilisation de verres colorés et de miroirs à partir de Réflexions, la série qui de 2020 à 2021 rassemble des œuvres comme Foudre ou Emblème rayons, fait appel à la subjectivité de chaque visiteur. Au-delà d’une construction historique et esthétique, le paysage est une expérience que l’on fait individuellement, personnellement, comme le rappelle l’historien Alain Corbin dans le livre d’entretien L’homme et le paysage où il explicite sa méthode de travail et le recours à la littérature, aux journaux intimes et aux correspondances privées. Le texte s’est petit à petit fait une place dans le travail de Lyse Fournier, au travers d’éditions, ou de poèmes repris sur des textiles dans Halos (2022). Dans le corpus d’œuvres qui constitue la Fabrique des cieux, l’artiste en se référant à des moments limites, des temporalités entre le jour et la nuit comme l’heure bleue ou le rayon vert cherche par un travail de filtres, qui ne se donne pas immédiatement mais par instants, à suggérer une coïncidence d’affects, une épiphanie. Lyse Fournier, au-delà de l’évidence, propose ainsi de faire coïncider les cieux et les sentiments.

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