Maman
Il y a la mère au centre qui est appelée Maman. Comme au centre de quasi toutes les familles, il y a la génitrice originelle. Maman y est une sainte que beaucoup vénèrent et qui a construit une cité ouvrière inspirée de la composition des jardins à la française. Elle fait construire au sein de son empire de nombreux grands bassins, qui rappellent autant la soupe originelle où la vie terrestre commença à prendre forme, que les étendues maudites qui recouvrirent les populations légendaires comme l’Atlantide. Tous ses employés l’admirent. On ne sait pas ce qu’elle produit en tant qu’industrie. Maman est rattachée au personnage biblique d’Hérodias, mère de Salomé et femme d’Hérode. Femme divorcée, sa situation faisait d’elle un être infidèle et amoral, que le prophète Jean-Baptiste fustigea ouvertement jusque dans les geôles d’Hérode. Ce dernier l’emprisonna pour faire cesser les calomnies colportées sur sa femme. Maman possède un immense royaume qu’elle a légué à deux de ses filles Mathilde et Alice - les prénoms respectifs de ses deux sœurs. Mathilde et Alice sont deux dictatrices, chacune à leur manière.
Mathilde
Mathilde est l’aînée. Elle possède un territoire grand comme la Russie où la base de l’économie est l’agriculture et dont l’architecture principale est inspirée de la serre. Elle affectionne particulièrement les ossuaires. Dans ses représentations, de grandes serres luxuriantes sont ornementées d’os et de crânes humains qui recouvrent les cintrages de ces bâtiments agricoles souvent recouverts de neige. Mathilde a donné naissance à une petite fille Tilale Rahhaoui-Lassalle - que le peuple adore - mais qui vit prostrée dans une haute demeure qu’elle ne cesse de faire croître. À la manière d’une tour de Babel s’effritant sans cesse sous les travaux indécis, la demeure de la nouvelle héritière du matriarcat reste inachevée. Tilale Rahhaoui-Lassalle n’ayant pas encore fait le choix d’habiter la terre ou les cieux - en lesquels elle pense apercevoir une entité supérieure dont elle doute encore.
Salomé = Lou-Andréa
Au milieu des deux sœurs il y a Salomé = Lou-Andréa, qui est le double de l’artiste. Salomé = Lou-Andréa n’a pas pris part au partage du royaume car elle reste une fille à maman. Collée à elle sans savoir se dépêtrer de son pouvoir et n’ayant encore jamais réussi à acquérir une autonomie suffisante pour vivre en dehors de son système économique. Ce qui ne l’empêche pas d’être une femme à homme invétérée, à l’innocence sans cesse renouvelée après chaque cœur brisé. Salomé = Lou-Andréa est une femme-enfant gracieuse, une danseuse reconnue pour la sensualité de ses représentations et l’excitation qu’elle inspire. Elle est rattachée elle aussi au trio biblique Hérodias-Hérode-Salomé. Cette dernière retient l’attention de son beau-père par la danse des sept voiles et obtient de lui qu’il assouvisse n’importe lequel de ses vœux. Elle demande alors conseil à sa mère et d’un commun accord demande qu’on leur apporte, sur un plateau, la tête de Jean-Baptiste. Dans la Cosmogonie, Salomé = Lou-Andréa se positionne autant comme l’incarnation de la Salomé biblique que des différentes interprétations dont elle se charge au rythme de ses exégèses, en particulier celle de la pièce de théatre d’Oscar Wilde, Salomé. Une femme assez folle d’amour pour le prophète Jean-Baptiste, Iokanaan , qu’elle en vient à le faire décapiter, pour enfin posséder ces lèvres qui l’avaient éconduite. Elle s’inspire aussi directement de Lou-Andréa Salomé, philosophe et poétesse russe, qui, elle-même très prisée tant physiquement qu’intellectuellement, n’accepta jamais d’appartenir à un seul homme. Ce qui lui fit écrire, après le suicide de l’un de ses prétendants, cette phrase célèbre : « Je suis éternellement fidèle aux souvenirs ; je ne le serai jamais aux hommes ».
Alice
Alice, la plus jeune des trois sœurs, vit aussi dans une tour haut perchée, de laquelle elle regarde ses sujets, éliminant quiconque dépasse le poids réglementaire qu’elle a instauré. Car Alice voue un culte à l’aliment gras, à la cuisine grandiloquente des banquets de Louis XIV et particulièrement aux œuvres d’Antoine Carême, mais ne supporte pas que l’on puisse en grossir. Elle se fait confectionner de gargantuesques dîners qu’elle améliore sans cesse de sophistications les plus subtiles avec l’aide de son mari. Lui-même très grand et très fin chef cuisinier. Cependant elle ne permet pas que l’on se goinfre sans faire attention à sa ligne, sans toutefois préconiser le sport. Les escaliers chez elle sont plus hauts que la normale, car les habitants ont de longues jambes et une ossature élancée dont a hérité Tilale Rahhaoui-Lassalle. Elle a vraisemblablement un lien avec la civilisation maya que l’on ne sait encore définir. Alice est née sœur siamoise de son cousin Félix.
Les trois sœurs ensemble
Mathilde, Salomé = Lou-Andréa et Alice sont les protagonistes d’une performance dans laquelle elles prennent les traits des trois Parques : Morla, Decima et Nona. Ces trois sœurs qui tiennent la vie de chaque être humain et qui vivent dans un marais. Celui-ci est rempli de Coca-Cola poisseux. Elles en sont prisonnières et y fument chacune leur marque de cigarettes préférée, tout en jouant le destin de chaque être humain au hasard d’une partie de go que leur triche respective conclut en disputes fielleuses. La scène est teintée d’un ennui pesant qu’elles cachent au milieu d’un brouillard de nicotine permanent.
Sylvie
Maman a une sœur, la tante des trois Parques, celle-ci se nomme Sylvie. C’est une Pythie. Elle vit dans une maison obscure d’une rue froide de Caylus d’où elle ne sort jamais. Les habitants viennent la consulter pour toutes sortes de problèmes auxquels elle répond par d’énigmatiques prophéties. L’esprit embué du passé d’un tas d’abus de stupéfiants, qu’elle réactive en consommant sans trêve des JPS slim qu’elle allume comme des encens dans tout le salon, recouvert d’un carrelage de céramique vert émeraude, pratiquant parfois des ablutions de rosé en cubi. Félix, son fils cadet, lui a bâti un abri souterrain en cas de catastrophe, dans lequel il a installé des fontaines. Elle y stocke des marionnettes et des coussins brodés en souvenir d’un voyage à Delphes. Elle aime l’odeur et le bruit que fait la masse d’un coussin laissé dans le bassin d’une des fontaines lorsque elle y redescend après assez de temps pour avoir oublié qu’elle l’y a placé exprès. Elle est mariée à Gilbert.
Gilbert
Un truand anarchiste qui possède des volcans avec lesquels il effraie la population en provoquant des éruptions quand l’un d’eux a osé le battre aux échecs. Il apprécie le goût de sa femme pour le carrelage vert et ne cesse de dessiner les plans d’une salle de bain prenant potentiellement place dans toutes les pièces de la maison familiale.
Tous les deux ont deux fils : les cousins Arthur et Félix.
Félix
Félix est un survivaliste prepper. Il est persuadé que la fin du monde est pour bientôt et, pour ce faire, il passe ses journées à élaborer tout les scénarios imaginables de la catastrophe pour pallier à chacun d’entre eux. Il a construit un abri souterrain pour sa mère en cas d’attaque nucléaire, ainsi qu’une cabane de chasse pyramidale. Il considère toutes les théories afin qu’aucune possibilité ne lui échappe. Les complots Illuminati, la force extraterrestre des pyramides, les trésors engloutis de l’Atlantide, la possibilité d’attaques de zombies aussi bien que la biodynamie, la permaculture et les architectures flottantes en cas de montée des eaux. Il est né siamois de sa cousine Alice. Ils retrouvent leur totalité dans un jardin d’Eden, un espace entre la vie et la mort, entre lesquelles sont construites de grandes portes au travers desquelles ils ne peuvent passer qu’en fusionnant à nouveau.
Arthur
Arthur est le seigneur des mers, l’homme poisson. Il ne prend contact avec la famille qu’en acceptant annuellement d’apparaître à la surface de l’océan, où il vient surveiller le cours des choses, anxieux des répercussions que les catastrophes terrestres pourraient avoir sur son royaume aquatique. Il peut rester des mois à la surface, le temps qu’il considère nécessaire au passage d’une catastrophe. Il a offert un requin à son petit frère Félix qui l’a remercié en lui faisant don d’un hélicoptère.
Un dernier personnage existe, c’est Jean-Baptiste, un voisin de Sylvie et Gilbert, potier orphelin qui vit dans un ascétisme choisi, refaisant à l’infini des modèles de cruches ancestrales. Il subit les assauts tentateurs de Salomé = Lou-Andréa quand celle-ci se lasse de ses amants passagers.
Entretien réalisé par les arts au mur artothèque (Pessac) à propos du travail de Lou-Andréa Lassalle-Villaroya et à partir du dessin Sans titre (Sylvie), 2017. Ce dessin est entré dans la collection les arts au mur artothèque en 2019.