Comme on vide ses poches sur la table en rentrant de promenade, la peinture de Maya Andersson dépose à la surface du tableau les signes et sensations récoltés dans l’espace, les éléments saisis du monde par un regard attentif et sensible. Une forme de pudeur devant le monde qui se contredit par la prégnance corporelle du regard et du geste du peintre. Les pages des carnets de Maya Andersson et ses premiers travaux évoquent cela même : la volonté de constitution d’un territoire sensitif et corporel, ou plus justement, d’un territoire sensitif à partir du corps, qui sert de support à la peinture. C’est parce que le peintre apporte son corps, comme le dit Valéry, qu’il transforme le monde en peinture. Et ce corps, la peintre le met en scène ou en œuvre, pour faire, faire la peinture et le geste. Les expérimentations artistiques des années 70 le montrent : empreintes de corps et de boue sur une surface contenue, traces de gestes qui font et défont. L’intentionnalité corporelle de l’artiste réunit le sentir et le faire en vue de redessiner un paysage sensible et personnel à partir de l’agencement de fragments : de couleur, de formes, de gestes corporels, de morceaux de céramiques, motte d’herbes reconfigurées en un triangle suggestif (pubis d’herbes sortis des pages du carnet), fenêtre pubienne, ligne tracée dans l’herbe, série d’îles (dont une pubienne, une à s’arracher les poils...). Les expérimentations à l’extérieur s’intériorisent, puis s’effectuent dans l’atelier, la présence et la prégnance du dehors se concentrent alors dans l’espace de la toile.
La peinture semble avoir, dès lors, pour Maya Andersson, valeur d’évocation plutôt que valeur de représentation ou de figuration, même si celle-ci est opérante. Aucune précision dans les éléments représentés, nul besoin de réalisme, plutôt une superposition d’éléments en couches successives qui engendre la spatialisation d’un récit, d’un imaginaire, d’une sensation : un fruit démesuré surplombe une table détourée présentée comme un signe, sans perspective et sans profondeur. Ce sont des manières d’occuper la surface : tourner autour et dedans, se frotter aux bords ou s’inscrire en son centre. Les éléments figurés dansent en surface dans un espace qui ne les contient que difficilement mais qui permet des coexistences : chaise, feuille et mormyre, ou encore laitue et tessons, signes fossiles et animaux venus du fond de l’histoire, têtes de chien, mains et bras, végétaux, fleurs. La peinture a la faculté de capter ces associations de formes comme d’idées, sortes de cadavres exquis imagés.
Une succession de motifs qui s’enchaînent et s’entrelacent dans l’histoire du travail semble répondre d’une même nécessité de faire correspondre les temps et les espaces dans une indécision ou un suspens. La surface picturale est une zone de cohabitation temporelle, historique et spatiale. La peinture de Maya Andersson dialogue avec la peinture même : animaux peints sur les parois, figures égyptiennes, paysages et objets... Voyage dans le temps et l’espace : de Lascaux, de l’Egypte et de la Grèce aux paysages de montagne suisse ou de campagne française, la peinture peut se révéler dans cette confusion des temps que l’œuvre nous fait traverser. L’Egypte a en outre une forte valeur d’évocation en tant que remontée de la forme à la surface, en plan vertical, ramené au devant, sans perspective et sans illusion.
Coïncidence de plusieurs sensations dont la peinture rend compte dans la cohabitation des figures qu’elles laissent voir, il est question de demeure, de ce qui demeure du temps de l’histoire, ce qui demeure au cœur du sensible, ce qui demeure immobile : tables, chaises et paysages géographiquement indistincts (ils pourraient être partout, ils ne donnent pas à voir un élément significatif du paysage, de tel lieu, ils évoquent la sensation de l’ici et du maintenant, transposable en tous points de l’espace). Pas de lieu, donc. Des espaces sensibles, mixtes de désirs et de souvenirs (dit l’artiste), des paysages d’une nature dépeuplée et désurbanisée, des paysages fenêtres, qui empêchent la dispersion du visible. Ils se présentent comme des masses colorées, blocs de couleur qui figent l’espace naturel, l’aplatissent, le décollent de la perspective. Pas d’illusion, ni de soupçon de vérité, on est bien devant l’image, devant une surface mais dont les éléments hétérogènes se cognent telles des plaques géologiques et s’ajustent à leurs bords. Et la peinture, celle de Maya Andersson, coïncide avec l’existence même d’un regard qui sédimente le réel visible en suspendant le temps.