]Entre nous[
« Avant de savoir lire.
[...] Puis apprendre à lire. Je ne m’en souviens plus. Je me
revois regardant des images, je ne sais pas encore "lire".
C’était quoi "lire". Puis lecture.
[...] Entendre quelqu’un lire pour la première fois. D’abord
suivre le texte et puis plus de texte, juste une voix, quand
la rupture s’est-elle produite ? »
Norma Cole,
Capture des lettres & vies du Joker.
Une table. Un tableau. Le tableau est posé sur la table. Les pieds de la table reposent sur le sol. La table est dessinée sur le mur. Le plateau se dresse au-dessus des pieds comme si la table était dépliée. La table est gravée dans la couche de peinture blanche qui recouvre cette partie du mur. Cette partie du mur est un rectangle horizontal délimité par la couche de peinture blanche qui est grise comparée à la peinture blanche qui recouvre le reste du mur. La limite supérieure de la couche de gris rectangulaire est en partie masquée par le tableau. Le tableau est noir et sa surface réfléchit la lumière. Le tableau est flanqué de deux tableaux de même hauteur, presque carrés, disposés de part et d’autre. Leur fond est clair. Sur chacun d’eux, quelques traits de pinceau large ébauchent une poule penchée. Les dos des poules sont deux lignes presque parallèles. Le tableau central est très sombre. Une feuille de nénuphar et sa tige sont prises dans la peinture.
[Idiotie appliquée]
Je me souviens des Îles : papier marouflé sur toile, forme ronde ou organique ; le support un creuset sur lequel tu déposes, centralises, superposes, par strates [empreinte, corps, géographie, projection] ; des formats définis par ta propre hauteur, ton envergure - debout au centre du tableau ; le tableau en extension.
[et déjà citations, reprises, résonances, montages, connexions]
Petit à petit, tu as dissocié : d’abord à l’intérieur des tableaux - et ça a coïncidé avec un retour à des formats rectangulaires (cf. les trois bandes horizontales que tu évoques dans le film de Justine : ciel/air ; sol/table/surface ; underground/préhistoire/rémanence).
Ou : Tableau : FEUILLES – FIGURE BAISANT LE SOL – OISEAU – VASE
ou : OBJET – PERSONNE – ANIMAL – VEGETAL
ou : VASE – FIGURE – FEUILLE – INSECTE
ou : FEMME – FEUILLE – CHEVAL – URINOIR
[V.dessin p.36 : cette ligne appartient-elle plutôt à une figure, une plante, un animal, un objet]
Je repense aux photographies que tu as prises de tes tableaux là où ils sont accrochés aujourd’hui : tu inclus ce qui les entoure dans le cadrage. Pour chaque photographie il y a l’invention de cette distance qui est devenue, semble t-il, le format du tableau dans tel contexte. Comme si chaque tableau trouvait un nouveau format en relation avec son environnement immédiat, loin des "conditions de laboratoire" que propose une exposition.
A partir de ces photographies, tu fais autre chose.
[Donc le chat, le prunier étaient dehors ; le chat et le prunier sont venus à l’intérieur de l’atelier, à l’intérieur du tableau.]
Traduction du chat et de la branche dans la fenêtre qui est un tableau. Traduction de la console, de la nappe, d’une autre fenêtre sur le mur Nord de l’atelier.
Le tableau déborde le châssis, en résonance avec ce qui l’entoure, y compris les autres tableaux ; je dirai que l’espace du tableau, du châssis, de la toile, s’est désormais étendu à tout ton atelier.
L’atelier est ton travail (cf. "l’absence d’écrire" de Roger Giroux).
[Côté Est : boîtes, bords des fenêtres, carnets, etc. Un ensemble de formes, d’éléments recueillis ; leur classification, parfois formelle, parfois intuitive, souvent les deux, parfois pas de classification, ils sont juste là, sur la table, sous la lampe, sur la toile vierge posée par terre. En désordre.]
[traitement, mise en mouvement ou en relation, organisation] [strates, les étapes de ce traitement] [une peinture, un tableau, ou autre chose] [un agencement ou assemblage ou juxtaposition] [quelque chose pas un objet clairement identifiable comme tableau] [qui prend corps dans l’atelier même] - sorte de "cœur" de ton travail.
Une collection de regards qui serait le cœur de notre vidéogramme.
Tu dis c’est tellement particulier, l’atelier, tellement collé au travail du peintre.
Texte extrait du catalogue Aujourd’hui 9 octobre / Maya Andersson, Musée Jenisch & Atelier Bouliac, 1997.