« La Villa Marguerite »

Jocelyn Moisson, 2019

Présentée comme une réflexion sur la quête d’exotisme, la triple exposition « La Villa Marguerite », qui s’est tenue entre le Confort Moderne (Poitiers), le LAC&S - Lavitrine (Limoges) et Zebra3 /Silicone (Bordeaux), s’est d’abord employée à partir du modèle « idéal » des villas pavillonnaires, à questionner à partir de la notion de paysage produit, ses modes de consommation et de commercialisation. Décrit par Rémi Duprat comme « de nouvelles habitations modernes et normalisées », le pavillon - pensé sur un même mode de réédition, un même plan urbanistique, un usage unique et à destination d’un même mode de vie - permet aussi d’interroger, à partir de ce système hiérarchique et des institutions qui l’accompagnent, une organisation communautaire réservée à un certain groupe social, quitte à rejeter selon la tradition du « roman familial », l’individu.

On retrouve dans La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq, le personnage de Vincent décrit dans un futur proche : celui d’un artiste célibataire, qui pour vivre et travailler dans un pavillon de meulière des années 30, doit suivant cet exemple, abattre plusieurs cloisons pour s’approprier à l’intérieur de cet espace domestique, un atelier de 400 mètres carrés. En éjectant l’idée même de famille et le mode de vie qui l’accompagne, Michel Houellebecq - tout en poursuivant la mise en équation de questions liées à la place de l’humain dans une société de loisirs - laisse apparaitre, selon un mauvais usage du pavillon, les premières fissures que dessinent l’image d’une France éternelle. En apparaissant comme la critique d’un certain déterminisme « pavillonnaire », « La Villa Marguerite » se fait tout à la fois le témoin des contradictions entre temps de loisir et temps de travail, quête d’exotisme et libéralisme, que l’outil de conditionnement idéologique d’une certaine « normalité ».

En questionnant notre rapport à l’uniformisation à partir de ses nombreuses variations ; ou comment à partir d’un standard pensé « entre cour et jardin », l’espace de liberté que représente cet « eden » se décline selon différents standards. L’exemple du mobilier de jardin généralement en plastique, souvent en tek et plus rarement en pierre, est représentatif à l’intérieur de cette oasis factice, de comportements sociaux mettant en évidence les inégalités, les failles et les limites d’un modèle pensé pour une fonction unique. Si en répondant par le vocabulaire des catégories, le pavillon impose un mode de vie unique (comme celui encore plus friable du HLM), il dicte aussi suivant un calendrier commun, les temps de travail et de loisirs circonscrits par les semaines, les week-ends et les notions toutes démocratiques de vacances et de congés payés.

Pensées de façon presque funéraire, les sculptures qui composent « La Villa Marguerite » donnent à voir, à partir d’objets pensés pour le confort domestique et dont on a parfois perdu l’usage ou l’origine, l’ensemble de ce qui n’échappe désormais plus au cadre dominant de la démocratie libérale. « Entre l’objet sculpture et son image, j’essaie de laisser apparaitre des formes où se créent des confrontations de matières et de temporalités par le biais de médiums et de techniques différentes, où il est difficile de discerner le vrai du faux. On pourrait dire que je fais du faux pour parler du vrai, en superposant des objets factices qui créent eux-mêmes une fiction, suivant une vision esthétique et sociale que véhicule ce type d’habitation bien réel ; l’idée principale étant de créer des rapprochements pour interroger des pratiques géographiquement éloignées, mais pourtant issues d’une même intention » . Le pavillon incarnant avec son modèle pensé pour la réédition, le témoin physique des principales mutations sociales de l’après guerre.

En effaçant un peu plus violemment la question sociale, du territoire et de l’individu, le modèle du pavillon et des institutions qui lui sont indissociables (à commencer par le mariage), se sont parfaitement imposés à l’intérieur d’un modèle global. Comme l’analyse David Cooper dès les années soixante-dix : « En réalité, le narcissisme et l’homosexualité ne sont pas plus des maladies ou des arrêts du développement à certains stades que ne l’est le fait de garder longtemps le même travail, d’entretenir dûment une famille ou d’être, plus généralement, un pilier de la société » . Si on a récemment vu la loi sur le mariage s’élargir à des sexualités qui nient la famille, comme une ultime tentative de sauvegarde d’un mode de vie alimenté par le pavillon et sa notion filiale de patrimoine, le recul des vieilles institutions s’est aussi renforcé avec la dissolution des partis traditionnels, le Brexit - qui signifie la fuite d’un modèle global - et l’émergence de mouvements comme celui des gilets jaunes qui ne s’encre dans aucune tendance politique précise.

Il y a bien quelque chose de décati avec « La Villa Marguerite » où seuls survivent certains vestiges, quand cette dernière se retrouve désertée, léguée ou réintroduite par un nouvel individu ou une nouvelle couche sociale - quitte à provoquer « en traversent des phases de déstructuration, déconditionnement, déséducation et de défamiliarisation », l’autodestruction inhérente à tout système de pensée unique.

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