Michel Herreria sait faire avec les pots cassés, et sa peinture sur papier, d’un format unique (190 x 150 cm), qui s’additionne, se multiplie selon une prolifération argumentée, implique un morcellement et une capacité de rassembler les morceaux. Le contenu est d’abord une affaire de contenant. Il lui faut remettre dans la boîte renversée les éléments qu’elle contenait et qu’il peut encore récupérer. Il s’engage ainsi à produire une image, même s’il n’a pas à sa disposition tous les fragments. L’entreprise consiste à dénombrer des parties détachées, éparses, à les relier les unes aux autres, à les motiver les unes par les autres, tout en les conservant aussi distinctes que possible les unes des autres. L’espace de la peinture est un réceptacle qui collecte des silhouettes, des notations, des schémas, des prototypes, des cellules, des conduits, et se caractérise par des coordinations et des secousses, des indurations et des coulures, des densités et des vides. Tout se révèle comme englobant des déplacements, des indices et des signaux qui à la fois divisent et avivent le regard. On voit comment le phénomène se développe. Le regard est d’abord intrigué, dérouté par la multiplicité des éléments éclatés, et puis celle-ci s’organise et forme un tout. Plus on y trouve de mots, de choses, de figures, d’idées, plus la surface qui les retient se structure en se penchant dangereusement sur la fragmentation d’une réalité et en lui inventant des prolongements vertigineusement actifs.
Placé devant la cruauté du monde, Michel Herreria pointe la solitude radicale des hommes. Comment atteindre l’autre ? Comment échapper à ce côtoiement infertile de tous avec tous ? Comment ne pas céder à cette information généralisée qui sépare et cloisonne ? Parler ou se taire, se soumettre ou combattre, gouverner ou se laisser écraser, aucune initiative n’a de signification efficace. De tous côtés, les issues sont fermées. Les objets, les dispositifs sont étrangement oppressants. Les êtres sont frappés d’une transparence glacée et se livrent à des opérations aux impératifs indéfinissables. Qui sont-ils ? Hommes marteaux, gestionnaires de l’apparence, relieurs de langues, tricoteurs d’opinions, paradeurs de l’ombre, ils ne se constituent que par rapport à la situation dans laquelle ils s’inscrivent mécaniquement. Michel Herreria peint les ravages de l’exacerbation d’un système de contrôle et d’asservissement, de médiatisation et d’isolement. Il plonge dans un fantastique politique qui s’avère assez riche de contradictions et d’impostures pour lui fournir de solides effets. Mais chez lui, aucune raideur, aucune volonté laborieuse de dénonciation. Il extrait habilement de cette matière une dimension burlesque et, en ce temps d’aveuglement, lance en guise de fusées éclairantes des saynètes caricaturales inspirées par l’actualité.
Didier Arnaudet, commissaire de l’exposition