Performances, dessins, maquettes, quels que soient les mediums, l’œuvre de Lou-Andréa Lassalle-Villaroya entrouvre des passages entre plusieurs dimensions. Aux croisements de ces mondes parallèles, l’artiste entremêle les ressorts de l’histoire, du folklore et de la mythologie forgeant ainsi une cosmogonie peuplée de personnages accomplissant des rituels mystérieux.
Au cours de ses performances, comme dans ses expositions, enseignements et transmissions, elle orchestre des rites et des processions aux titres faisant écho à des cérémonies fictives se tenant dans des sociétés secrètes (La loge, Intronisation, Le club, Le festin…). Elles sont le plus souvent accomplies par des individus arborant des masques. Ornementés de motifs géométriques dans une palette tricolore de rouge, bleu et blanc dessinés au rotring 0.18 ou 0.13, il est délicat d’en déterminer l’origine spécifique tant ils évoquent une variété de sources : sont-ils des clins d’œil appuyés aux ornements maoris, aux mosaïques byzantines ou encore à la célèbre Grammar of Ornament datée de 1856 d’Owen Jones, la première encyclopédie en images de l’ère moderne sur le style ornemental. Ces dessins géométriques et abstraits qui recouvrent les surfaces de ses masques et écussons matérialisent des mondes secrets entrecroisant spiritualité et art. Le masque est l’élément fondateur de ces rituels de contre-culture, et à la différence de l’utopie sans lieu de Thomas More, Lou-Andréa Lassalle-Villaroya les ancre à Caylus, un village pittoresque du Tarn-et-Garonne d’où elle est originaire. L’artiste y a ciselé l’existence d’une société secrète : le Caylus Culture Club qui se déploie au gré de ses projets, mais dont nul ne peut totalement percer le mystère.
Par tradition, le masque modifie les conventions gouvernant les usages du quotidien. Dans certaines occasions, il permet même de prétendre, momentanément, à un autre statut social, qu’importe ses origines : le masque redéfinit l’identité de celle ou de celui qui le porte. À l’instar des configurations de l’espace déployés par les corps devenus abstraits sous l’égide et la caméra du chorégraphe Busby Berkeley (voir par exemple Gold Diggers, 1935), les géométries arborées sur les masques de Lou-Andrea Lassalle-Villaroya produisent un effet kaléidoscopique où l’œil se perd, créant ainsi un heureux effet de désorientation. On s’accordera peut-être sur le fait que si tout le monde revêt un masque, réel ou métaphorique, et s’invente une personnalité de façade, ces identités dédoublées et simultanées corroborent l’idée que se déguiser est non seulement un acte politique, mais aussi cathartique. Et à ce sujet, comme le consignait l’illustrateur Saul Steinberg féru de masques qu’il dessinait sur des sacs en kraft : “ le masque fonctionne comme une protection contre la révélation.” {note}1
Nourries par l’art du secret, les fictionnalisations de Lou-Andréa Lassalle-Villaroya se frottent aux faits historiques. Un tel déplacement dans l’espace-temps de la fiction consacre la force de ses imaginaires à modeler le réel de la vie collective, à mêler la cellule familiale à la polis. Ses masques, emblèmes, hampes et blasons activent des narrations qui questionnent l’existence en opérant un glissement subtil de la dissimulation du masque vers la fiction dont l’étymologie associe le « faire semblant » à la « mise en forme ». Ainsi, sociétés secrètes, rituels, univers cosmiques et symboliques de fiction forment des passages entre les mondes, les états de conscience, les imaginaires, le passé et le présent, et l’art.
1Mention de la main de Steinberg inscrite sur une page à en-tête du New Yorker conservée dans ses archives, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University. Voir https://saulsteinbergfoundation.org/essay/paper-bag-masks/