Travailler au plus près de soi. Au plus familier. Lou-Andréa Lassalle est une artiste dont les œuvres se nourrissent de ce qui l’entoure, et parmi ce qui l’entoure, en particulier, des gens qui lui sont proches. A la manière d’un romancier qui prélève, ici et là, chez l’un un trait de caractère, chez l’autre un geste, pour les intégrer dans un même personnage, Lou-Andréa Lassalle absorbe amis, voisins et membres de sa famille dans un grand récit fictionnel, dont la complexité n’a rien à envier aux grandes sagas dynastiques, et qui lui donne depuis plusieurs années la matière dont elle tire la plupart de ses pièces.
Consignée dans des carnets, c’est une constellation de personnages aux types à la fois contemporains (« Félix est un survivaliste ») et empruntés à de nombreuses sources mythologiques. Un monde très féminin, au firmament duquel semble rayonner la figure de « Maman », sans doute parce que, comme l’explique l’artiste, elle a donné son visage à toutes ses filles.
Par son prénom, Lou-Andréa Lassalle propose d’entrée de jeu une figure d’identification, celle de Lou-Andréas Salomé, brillante femme de lettres du XIXe siècle à l’énergie dévorante ; mais aussi, par association, la figure biblique de Salomé, princesse sanguinaire qui obtient, parce qu’elle le désire sexuellement, la tête coupée de Saint Jean-Baptiste sur un plateau. Aux Abattoirs de Toulouse, l’artiste fait ainsi circuler entre les invités sa propre tête coupée, et s’amuse de la confusion que fait naître la présence de ses sœurs pendant le vernissage. Il est tentant d’imaginer toutes sortes de scénarios d’interprétation (quand on sait que, chez Freud, l’ablation d’un membre équivaut à la castration, on peut se demander si ce désir de couper la tête à toutes les femmes de sa famille n’est pas à l’origine d’un besoin de se démarquer d’une fratrie trop soudée, ce que Lou-Andréa aurait réalisé en devenant artiste ?... ), mais peut-être cela fait-il déjà partie des plans de l’artiste.
Artiste boulimique, à l’énergie débordante, qui me rappelle celle de Niki de Saint Phalle, Lou-Andréa Lassalle semble se donner son désir pour seul guide. Plusieurs de ses expositions reposent sur la construction de maquettes ou d’architectures réduites à partir de matériaux pauvres : carton, parpaings, tasseaux de bois. C’est son immense envie de créer qui guide à la fois sa main (l’artiste est véritablement engagée physiquement dans son travail) et son esprit, qui emprunte joyeusement toutes sortes de formes de l’art du passé : théâtres antiques, temples, cathédrales, usines modernes, constructions foraines. Parfois tout cela en même temps, concentré à l’extrême en un seul masque que l’artiste porte ou fait porter lors de cérémonies qu’elle met en scène avec la même jubilation.
Eclectisme : ce terme s’applique particulièrement bien au projet que Lou-Andréa Lassalle mène à Caylus et qui peut se comprendre comme la matrice de tout le reste. Caylus est le petit village pittoresque du Tarn-et-Garonne où a grandi l’artiste (et donc, où vit toute la dynastie des Lassalle). Comme toutes les campagnes françaises, il est profondément bouleversé par les changements démographiques que l’on connaît : vieillissement de la population, fermeture des commerces, arrivée de nouveaux habitants, tourisme... C’est là que l’artiste expérimente un projet collectif mais néanmoins personnel, multiforme bien que précis, exigeant tout autant que populaire, et qu’elle intitule le « Caylus Culture Club ». Il s’agit de réinventer de toutes pièces une véritable culture locale, faite de symboles, de chants, de contes et d’histoires en tous genres capables de fédérer une petite communauté, en partant d’un principe de collaboration avec les habitants tout autant qu’avec des amis artistes. Au plus près, au plus familier, Lou-Andréa Lassalle travaille avec l’humain. Et se demande, comme le font nos politiques, mais avec sa grande intuition d’artiste, comment préserver l’âme des lieux que nous aimons, en amenant, par la culture, les habitants de son village à partager quelque chose de commun.