[…] C’est à la poursuite de cette ambivalence des images que semble nous convier Johann Milh. Outre le motif, cette quête travaille également les objets et les expériences du regard. Ainsi un toboggan, un pédalo ou un plongeoir rencontrés au cours de promenades apparaissent dans la série Dérive (2010). Traités sur un mode tantôt onirique, amateur ou autoritaire, les sujets, vierges d’informations, semblent tous tenir lieu d’autre chose. La dérive, cette déviation de trajectoire célébrée par les situationnistes, s’applique ici autant aux sujets choisis – dispositifs liés au jeu et au mouvement – qu’aux errements de l’esprit à leur endroit : voir de la science fiction dans un toboggan, une Ferrari dans un pédalo, un monument constructiviste dans un plongeoir. Le même principe dérivatif pourrait s’appliquer pour la série Public Domain (2010), la seule à présenter des figures humaines. Quelques garçons y hurlent à la mort devant des architectures modernistes. De fait, les images sources sont celles de skateurs furieux, poussés à bout par les chutes et les échecs endémiques à la répétition de figures. Mais en l’absence d’indices élémentaires à la narration (en l’occurrence les planches de skate), ces hurlements de vexation viennent prendre place dans une iconographie spinalienne du cri de l’homme moderne. Il y a là encore une volonté de donner une consistance à ces images pour les faire déborder du cadre de la simple anecdote. En les dépouillant, le peintre les fait excéder. Ainsi qu’elle agisse par réduction ou agrandissement, qu’elle traite du devenir motif de l’image ou du devenir cliché de l’anecdote, la peinture de Johann Milh ne cesse d’osciller entre deux pôles. Il ne faudrait pas voir cependant l’exécution méthodique d’un programme. D’une peinture à l’autre, Milh affirme également un comportement, un rapport particulier avec ce qu’il peint. Si la dérive sous toutes ses formes en appelle au hasard, la peinture en elle-même est une expérience au résultat contingent. La neutralité presque amateur de sa manière, sans expressionisme, sans dogme, indique une volonté de ne pas dominer son sujet mais au contraire de se mettre à son service.
Texte de Paul Bernard, 2014 (extrait)
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