À propos du travail de Guillaume Hillairet

Irma Estrada, 2025

Guillaume Hillairet, artiste pluridisciplinaire, s’exprime principalement à travers la photographie, l’installation, la vidéo et l’intervention textuelle. Son travail, en général, fait appel au déplacement du public créant différentes approches selon l’œuvre. À tel point qu’au lieu de se rencontrer dans son atelier, il m’a proposé, pour faire connaissance, de parcourir la distance entre mon lieu de travail, la Villa Valmont à Lormont, et son atelier, Raymonde Rousselle à Floirac.

Le jour s’était levé en beauté, toutefois, aux alentours de neuf heures du matin, de denses nuages gris foncés s’accumulèrent dans le ciel, menaçant notre traversée. Rien de tel n’allait se produire : la météo n’aura pas assez d’impact pour annuler les événements. Ainsi, équipés de bottes Gore-Tex, imperméables et parapluies, nous nous sommes mis en route. Trois heures de promenade scandées d’arrêts et de volte-faces ont accompagné la conversation, le récit de nos projets et le paysage fragmenté en cadrages définis, traversé par des voies de passage pour véhicules - routes ou lignes de tramway. Au fur et à mesure que nous avancions, ce qui était défini devenait ensuite un assemblage d’éléments trouvés à un moment ou à un autre du parcours : les tours d’habitation apparaissaient au beau milieu du parc boisé, des lotissements de construction à l’horizontal se trouvaient dans les jardins d’immenses villas bourgeoises ; il y avait des rues où trônaient les vestiges d’une ancienne bâtisse, ou un lac entouré de ciment et d’une zone industrielle. Les couches sonores étaient à la fois définies et entrelacées : les oiseaux d’un côté, le trafic de l’autre, les pas, la conversation et le jeu entre les deux. En effet, la proposition de Guillaume incluait également une médiation qui nous unissait dans un même défi : prendre, le long du chemin, à des moments aléatoires et selon nos intuitions, sept photographies avec un Kodak Brownie - un ancien appareil photo argentique. 

On s’est fait rincer à plusieurs reprises, mais nous étions si absorbés par le lieu et par l’échange qu’on intégrait les averses comme on accepte les premières lueurs du soir. Cette manière de relier deux points en marchant et en défiant certains codes propres au déplacement, dessinait peu à peu un espace, un lieu [ici]. Un lieu d’où nous pouvions nous extraire légèrement quand, en prenant de la hauteur, la perspective s’ouvrait et nous pouvions nous situer : nous sommes ici, le fleuve se trouve là-bas, ainsi que les archives, l’atelier, la Villa Valmont, le Frac, la cité du Grand Parc, etc. [là-bas]. Un lieu où, si nous y pénétrions profondément, nous pouvions commencer à trouver des choses improbables, comme un arbre avec une peau d’éléphant, une maison démontée et reconstruite par quelqu’un qui défie l’imaginaire, une voiture suspendue de couleur marronnasse brillante ou même des ombres d’objets absents [maintenant]. Ici, là-bas, maintenant, sont les termes choisis par Guillaume pour décrire son processus artistique. En effet, l’artiste, par le biais de chacune de ses œuvres, nous invite à repenser le rapport avec l’environnement qui nous entoure à travers l’expérience. Le périple qu’il m’a proposé n’était pas anodin, tout comme la prise de photographies. Ces deux choses étaient en fait un déploiement des intentions de son travail. Il ne fut donc pas surprenant que nous accédions à l’atelier Raymonde Rousselle par un côté, à travers un trou dans la clôture de l’enceinte, en étant par la suite obligés de traverser le terrain vague aux herbes folles qui sépare le chemin du bâtiment. L’un des points clés de sa recherche artistique consiste à créer un contexte, des conditions, qui rendent possible un déplacement, physique ou métaphorique, qui part d’une prise de conscience du point où vous vous trouvez et se dirige vers les endroits où vous pourriez être. Le concept de lieu et l’idée de l’être se transforment dans chacune de ses œuvres, et exigent une disposition dude la spectateurrice qui, inévitablement, d’une certaine manière, devient une acteurrice. Bien que l’œuvre soit produite durant ce déplacement, elle ne peut être interprétée que depuis celui-ci, créant un rapport ludique entre l’œuvre et le public, où l’instant du regard attentif devient fondamental. Au fond, ce qu’il propose n’est autre qu’une transposition des différentes formes de jeux d’interaction avec l’espace que Guillaume mène à bien dans son processus de création. Ainsi, le décalage du regard afin de trouver d’autres perspectives ou dimensions, de déceler des pistes, de transformer des espaces liminaires, provoque un déplacement qui implique le questionnement, le dépassement de l’évidence, le fait d’aller au-delà.

La série photographique passages, par exemple, est construite de telle manière qu’il est presque inévitable de réaliser qu’il y a quelque chose d’étrange dans les images. Pour l’identifier, vous devez vous concentrer, vous situer, prêter attention et, quand vous le repérez, vous avez participé à ce déplacement, et ce que vous voyez n’est plus ce même lieu que vous aviez découvert au premier coup d’œil. Cette transformation du lieu, qui éprouve la perception, nous pouvons la retrouver dans des projets d’installations dans un espace clos, comme dans l’œuvre deux mètres carrés soixante cinq, qui décompose une surface plate pour la transformer en une autre assemblage, lui conférant une troisième dimension ; l’œuvre blueprints ouvertures qui, à partir d’un élément architectural pris d’un lieu réel, est à l’origine d’un espace visible qui n’existe (plus) ; ou les contre-formes 2B, créées avec les moules protecteurs d’objets qui, selon un nouvel agencement et par répétition, tout en continuant à faire allusion aux objets disparus, créent une nouvelle forme.

Guillaume travaille également dans l’espace public, en proposant de manière temporaire aux passantes quelques petits exercices, comme une invitation à regarder plus loin, comme il a fait, notamment, dans le projet par delà, dans les jardins du quartier de Saint-Augustin, ou dans le projet notes dans la cité Frugès-Le Corbusier. Cette projection, qui fait appel à l’imagination, teint son travail d’un jeu avec la fiction qui se développe également dans celui des archives de Bordeaux Métropole où, depuis 2019 et par le biais de différentes propositions, comme à la marge / fiction(s), Guillaume explore les interstices documentaires et la logique des archives pour faire appel à l’absence et à ses possibilités.

C’est justement dans un espace-temps intermédiaire de l’atelier, où nous avons passé six heures supplémentaires, que j’ai découvert la plupart de ces œuvres, exposées, aux côtés de certaines de Jeanne Tzaut, qui fait également partie de cette aventure. Une distribution dans l’espace, conçue pour l’occasion, faisait pour la première fois dialoguer leurs œuvres. La découverte des œuvres ainsi mises en relation était aussi une manière de saisir combien il est important pour lui d’établir des dialogues dans son travail artistique.

 

Texte écrit dans le cadre de la résidence d’écritures curatoriales Recordare, à la Villa Valmont, sur l’invitation de la plateforme curatoriale Föhn et de Jiser

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