3 cœurs , 2018
Installation, dimensions variables, érable, haut-parleurs, carte son, amplificateur, raspberry pi
Bande son 7 min., rosaces et caisses de résonance 3 x (15 x 15 x 15 cm)
Œuvre produite dans le cadre de l’édition 2018 de l’exposition Art en Chapelles, présentée dans l’église Saint Nicolas d’Oye-et-Pallet, Haut-Doubs
Musiciens : Daniel Zapico (théorbe) et Tino Espada (luth)
Ingénieur es : Mireille Faure (son studio) et Arthur (éléctroacoustique)
Dans la nef de l’église, la mélodie d’un théorbe se fait entendre. Elle s’échappe d’un petit objet ajouré dont l’aspect ressemble à la rosace de l’instrument, comme si on en avait prélevé le cœur. En son centre résonne les notes d’un air ancien et familier. Cette mélodie semble se démultiplier lorsqu’elle est progressivement rejointe par deux contre-chants, eux-mêmes proviennent d’autres rosaces. Les accents populaires se mêlent alors aux ornements religieux, avant de laisser place à des rythmes plus folkloriques.
Je partage avec Daniel Zapico, musicien espagnol et fidèle collaborateur, la même fascination pour une archive conservée à la Bibliothèque de Besançon, le manuscrit de Vaudry de Saizenay. Ce recueil de 1699 est un des plus riches et des plus précieux document du répertoire pour théorbe seul. Il a la particularité de présenter quatre graphies différentes, ce qui laisse supposer qu’il a été enrichi de nouveaux airs par d’autres transcripteurs au fil des années. Certains de ces ajouts ont d’ailleurs été fait dans les portées restées vides entre les pièces. Le recueil compte encore de nombreuses pages vierges, dans l’attente de nouvelles mélodies. L’idée de nous plonger dans ce répertoire et d’en prolonger son histoire nous stimulait particulièrement.
L’invitation d’Art en Chapelles m’a immédiatement encouragée à tisser des liens entre le contexte de l’église Saint-Nicolas d’Oye-et-Pallet et ce manuscrit dont l’origine est très proche géographiquement. Dans l’intimité de cette église je découvre trois icônes : Saint-Nicolas et les trois pucelles au centre, la Vierge à l’enfant à gauche, et Saint-Isidore, patron des laboureurs à droite. À la lumière de ces figures, j’entreprends une nouvelle lecture du manuscrit. Assez vite, je me suis arrêtée sur la page 255 – page singulière pour les nombreuses taches d’encres qui maculent les portées. Celle-ci propose une retranscription de trois airs religieux, baptisés Noëls. La première de ces mélodies, ici présentée dans une version pieuse, est facilement identifiable. Elle correspond au chant Une jeune pucelle, dont le texte aborde l’immaculée conception. Mais cette mélodie, avant d’être réinterprétée religieusement, provient d’un air plus ancien, connu sous le nom d’Une jeune fillette. À l’instar de la version sacrée, les paroles de cette chanson raconte comment cette jeune fille préfère mourir de désespoir plutôt que devenir nonne. Il n’était pas rare que des chants anticléricaux aient une contre version chantant les mérites de la foi.
La présence de Saint-Isidore est assez peu commune dans les églises françaises. Beaucoup plus courant sur les territoires ibériques en raison de son origine espagnole, San Isidro y est autant célébré picturalement que musicalement. Il est d’ailleurs le patron de la ville de Madrid et de nombreux villages de la péninsule. Sa figure ainsi que celle, plus générale, du laboureur a nourri de nombreuses musiques folkloriques locales. Pour les fêtes de Noëls en Espagne, on y chante El milagro del trigo (Le miracle du blé). Cet épisode tiré d’un évangile apocryphe, relate la manière dont un laboureur a sauvé la Sainte famille durant sa fuite en Égypte.
Comme un écho aux trois figures qui l’entourent, 3 cœurs réinterprète les trajectoires de ces Noëls, et dévoile successivement les caractères contrastés qui ont fait leur histoire.
Nina Laisné
3 cœurs, 2018
Partition falsifiée, 21x 29,7 cm
Crédits photographiques : Nina Laisné