La ville, ses paysages, son architecture et ses temporalités, constituent le cœur de la réflexion artistique d’Ibai Hernandorena. Ce dernier s’intéresse plus particulièrement à la notion de modernité, aux utopies qu’elle engendre et à leur évanouissement à travers les époques. Des utopies, qui, au fil des décennies, s’effondrent, évoluent ou se renouvellent. Ainsi, il réalise Promesse (2014), un château de cartes monumental formé à partir d’éléments de façade dessinés par Jean Prouvé. La sculpture semble à la fois lourde et fragile. Entre construction et déconstruction, l’idée de modernité ne tient plus qu’à un fil, elle peut vaciller à chaque instant. En ce sens, l’artiste travaille les fantômes des villes et des bâtiments. Ainsi, il articule des modules en acier, qui forment un Paysage (2015) qui mue et s’adapte à l’espace d’exposition. Celui d’une vue architecturale dont il a sobrement extrait le dessin. De même, la photographie intitulée Glissement présente un bâtiment en cours de destruction. L’immeuble, dont il ne reste plus que le squelette, semble être celui d’une maquette en carton, fragile et éphémère. L’image est troublée, les couleurs sont accentuées et décalées. Notre vision est alors perturbée, l’image du bâtiment en voie de disparition se fait persistante. En Espagne, Ibai Hernandorena filme une ville fantôme, Seseña, au sud du Madrid (Falls – 2015). Après la crise immobilière de 2008, la ville demeure en chantier, elle est à peine habitée, à peine activée. À bord de sa voiture, il filme autour d’un rond-point, l’image est exagérément ralentie. Le travelling semble infini. Le paysage est rendu flou, insaisissable, évanescent. Une sensation que nous retrouvons dans la série Destinations (2015), où, sur des feuilles de papier, l’artiste a transposé par la brûlure des cartes postales où figurent les Grands Ensembles construits entre les années 1950 et 1970. Les signes de la modernité, et par extension d’une utopie collective, s’évanouissent lentement. Malgré leur lente calcination, le voyage des cartes postales est prolongé d’une manière précaire.Au fil des œuvres, Ibai Hernandorena explore la notion de mouvement en établissant différentes traductions : physiques, mentales, matérielles et visuelles. Ainsi, il moule la partie supérieure de sa moto dans une résine translucide. La coque du carénage est ensuite disposée sur un élément en acier fixé au mur. L’objet fait allusion à la moto et tout l’imaginaire qu’elle comporte, elle rappelle ainsi les sculptures futuristes de Boccioni où l’idée du mouvement est donnée. À la dimension mécanique, Ibai Hernandorena ajoute une dimension de type organique, l’œuvre fait aussi référence à une chrysalide, un corps étrange en gestation. Par ailleurs, la série Timeline (2015) est formée d’images prises à bord d’avions. Entre la terre et le ciel, les images font état d’un mouvement, d’un manque et d’une blessure. L’appareil semble incapable de restituer le changement d’état d’un paysage en mouvement. Alors, le temps est ralenti, suspendu, il se consume lentement. En explorant une zone inconfortable et fuyante, l’artiste travaille le temps, la ruine, le souvenir d’un paysage, d’une ville, d’une habitation. Au fil des œuvres, tout ce qui nous paraît familier, nous échappe et se transforme.