Redoublons de travail et de soin,
Le mystère nous environne,
Nous n’avons que l’enfer pour témoin,
Feu brûle et chaudière bouillonne.
Macbeth, Shakespeare, traduction de Louise Collet
C’est un refrain résonnant dans le fond d’une grotte. Une comptine inquiète, une incantation. Du cœur à l’ouvrage entonné par la ronde persiflante des trois sorcières de Macbeth. Dans cette pièce de Shakespeare, les trois femmes abreuvent successivement de mots et d’images mystérieuses le personnage principal qui est rendu fou à cause d’interprétation. Des prédictions et des mystères qui lui font commettre des actes irréparables dans des situations de confusion douloureuse.
Et c’est ce que je te propose.
Laisse-toi guider dans un monde de symboles qui pourrait s’adresser à toi, se dérober et t’inviter à des actes, infimes ou signifiants.
Dans ce monde-là, la construction se fait pour la destruction. Pour imposer le bâtiment que l’histoire détruira. Celui qui n’aura de forme que dans sa transformation.
Vous êtes en présence d’épisodes du royaume.
D’abord vous n’avez rien vu. Qu’une épigraphe sur la vitrine de droite. Une fontaine, un décor une perspective tordue sur un objet mimant un paysage. La première forme de la pièce Feignons d’en être les organisateurs 1 (2020).
Vous êtes entrés, puisque vous avez le texte dans les mains.
Il y a le bruit de l’eau. Un long jet fin qui coule d’une lune suspendue.
Une lune qui pisse dans un bassin de bâche et de parpaings au dessus d’une scène, un décor avec quelques éléments symboliques qui semblent produire une histoire.
Vous avez raison.
Il s’agit de la pièce Le Festin V (2020).
Elle est pensée comme un castelet ou chaque objet est une potentielle marionnette à activer.
C’est le possible décor d’une mise en scène du Salomé d’Oscar Wilde. Un texte que j’adore. Une vision d’une Salomé meurtrière, capricieuse et amoureuse d’un corps, d’une image, de la beauté. D’un homme de foi misogyne et fanatique sous une lune mystérieuse qu’on ne cesse de commenter comme un oracle.
Sur les murs, des Salomé de Cranach revisitées par mes soins en dessin et colorisation numérique, et possédant en leurs doigts trifouillants en les cheveux de leur trophée morbide, la tête de Saint-Jean Baptiste. Salomé IV 1 et 2 (2020), installées comme des têtes de gondoles grand-guignolesques.
Vous prenez maintenant les escaliers, vous l’apercevez déjà depuis la terrasse, la deuxième occultation : Feignons d’en être les organisateurs 2 (2020).
Des symboles se découpent en cartouche de la taille des fenêtres. Tel un mur de hiéroglyphes. Un inventaire de signes directement issu des gravures des Songes de Poliphile. Un langage crypté qui rappelle autant celui de l’héraldique qu’une liste d’ingrédients servant à la confection des potions. Un corpus de signes mystérieux, potentiellement magiques.
Quand vous entrez c’est une pièce verdâtre, une lumière de marécage qui se reflète sur les fragments carrelés de Sylvie III.
Sylvie III était un temple sur roulette qui fut accidenté. De même que les morceaux d’architectures blanches sont des apparitions morcelées d’une autre pièce, Maman Maniériste III.
Chacune de mes pièces est l’épisode d’une épopée plus vaste que lui. Leur transformation, leur vie, leur déformation font partie intégrante des expositions dans lesquelles elles viennent augmenter leur récit.
Leur réunion crée cette nouvelle installation : Symposium 03 (2020).
Symposium 03 c’est une tempête, une catastrophe. Un petit geyser dans une crevasse entraînant un palais en sa percée. C’est le mouvement sur l’effondrement figé, c’est l’explosion scellée dans sa chute sur laquelle revient s’insinuer l’eau, la vie, le bruit. La possibilité de refleurir et l’obligation de créer de nouvelles formes aux paysages. C’est ce rêve décousu entre le passé et le futur incarné par un présent disloqué.
C’est le chaudron-giron, la fontaine de jouvence et la potion d’espoir. C’est la soupe primitive qui reviendra dans les ruines de tout et la vie qui continue de fuir là où ça ne sera pas colmaté. C’est aussi un naufrage et la mer, c’est la montée des eaux, une Atlantide de carton-pâte qui a reçu la foudre.
Encore une scène, encore un décor, une évocation. Des morceaux du royaume veillés par deux gardiennes meurtrières, deux annonces d’une menace féminine, deux nouvelles versions des Salomé - Cranach Communication 3 et 4.
Partout il y a ces mauvaises herbes bruissantes. De celles que l’on croit inutiles, qui poussent sans aide dans les friches, mais qui sont connues des cueilleurs et des planteurs car elles recèlent des vertus fertilisantes ou antidépresseurs. Ce sont les plantes à purin : l’ortie et la prêle, et le millepertuis qui vivent ici comme des réminiscences de sac plastique, d’emballage vide.
Le décor d’une flore envahissante, utile et gratuite ce sont les Détails 1 (Mathilde) (2020).
Si vous remontez le chemin de leur invasion vous arrivez dans la dernière pièce, vous enfonçant dans l’obscur à mesure que vous évoluez dans l’exposition. Plongé dans une pénombre plus sombre que les précédentes, un écran ouvre sur une vue de Salomé III (2017). Cette œuvre créée, en collaboration avec l’artiste multimédia Benjamin Chavigner, est un environnement 3D dans lequel vous retrouvez les silhouettes des Salomé de Cranach devenues enseignes publicitaires, seuls éléments persistants dans la lumière blafarde de leur néon au milieu de ce jardin abandonné.
Encore de la ruine, de l’architecture, du décor. L’évocation d’un jardin à la française de béton déjà abandonné comme le caprice d’un entrepreneur en parc d’attractions dont la faillite aurait laissé en suspend le projet qui reste hanté par le fantôme de sa mascotte lugubre. Une décapitation dans un jardin royal...
L’image, les symboles, l’histoire, l’interprétation, la narration, la manipulation des récits et des références.
Autant de pistes pour lire la promenade qui vous est proposée.
Lou-Andréa Lassalle-Villaroya
Texte accompagnant le projet et l’exposition « Redoublons de travail et de soin. Le mystère nous environne. Nous n’avons que l’enfer pour témoin. Feu brûle et chaudière bouillonne. »