Jean-François Noble

vu par

Hervé Brunaux

Noble cause

« Mon travail est inaccessible, comme l’art doit être inaccessible. » Le credo, sous forme de boutade provocante, ne signifie pas que Jean-François Noble situe ses œuvres dans des limbes hostiles au commun des mortels. Bien au contraire, il est conscient, jusqu’au bout de ses pinceaux ou de ses burins, de son inscription dans un environnement dont il ne saisira jamais, malgré son gargantuesque appétit de savoir, toutes les connexions. L’art est une élévation, un brouillage de pistes qui permet de se dépouiller de ses certitudes rationnelles pour se révéler à soi-même. Accidenter les chemins, superposer les codes, une étincelle malicieuse au fond de l’œil. Son intérêt de plus en plus prégnant pour les symboles alchimiques participe de cette quête d’un inconnu qui s’éloigne indéfiniment, au fil des degrés d’initiation.

Curieux de tout, réceptif aux signes invisibles de la nature, Jean-François nourrit sa perception exacerbée des conversations secrètes avec les éléments. « Les vieux discutent avec les ronces », disait son grand-père. Son œuvre, protéiforme et tellurique, poursuit un dialogue de plus en plus profond avec les origines de l’homme, tout autant qu’elle s’ouvre à la transmission vers les nouvelles générations. Déjà, aux Beaux-Arts, à la fin des années soixante-dix, le jeune Jean-François se faisait remarquer en exposant au CAPC, en compagnie de Christian Boltanski ou d’Annette Messager, des mains négatives inspirées de cet art pariétal préhistorique si présent dans les paysages qui ont façonné son inspiration. Il se sait maillon d’une longue chaîne, ou plutôt voyageur au sein d’un puissant tourbillon, matérialisé par les cercles récurrents qui centrifugent certaines de ses peintures. La quadrature du cercle, un objectif à sa dimension ?

Jean-François est resté un homme de la terre, fidèle à la ferme de son enfance, à Lalinde, qu’il a transformée en antre digne d’un maître de la Renaissance. S’il ne rechigne pas à intégrer les technologies visuelles modernes à ses séries ou ses installations, la matière continue à y jouer un rôle fondamental. Sous toutes ses formes, toutes ses métamorphoses. L’athanor du cerveau est en ébullition, mais la main ne rompt pas le fil de son rôle ancestral. Jean-François excelle en minutieuse marqueterie comme en taille de blocs de calcaire cyclopéens, pour lesquels il introduit un paradoxe de légèreté, une illusion de lévitation. Inaccessibilité, contre-pied, toujours. Les multiples ateliers spécialisés, parfois d’immenses hangars, qui forment le puzzle de sa maison, témoignent de l’exploration des techniques au service des intuitions créatrices. Pas étonnant qu’un triptyque d’autoportraits ait des airs complices, carré magique compris, de la gravure Melencolia de Dürer, autre boulimique de connaissances. Fluide réconciliation du geste et de la pensée, son travail accompagne, davantage qu’il ne l’asservit, l’indéchiffrable pulsation de l’univers. Tout vient à point à qui sait le recevoir. « J’attends que les choses surgissent. » Le moment juste, l’équilibre dans la démesure. Le « Noble art » de Jean-François est à son image : humain mais sans limites.

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