L’humble expérience sensible

Didier Arnaudet, 1990

La pratique de Jean-François Noble se caractérise par une vaste entreprise de sélection, de déplacement et de recyclage de signes divers subordonnés à des arrangements particuliers. Cet artiste exploite des éléments tirés de l’histoire de l’art et de différentes cultures, des données scientifiques, techniques ou initiatiques mais aussi des motifs symboliques personnels. Ces signes de toutes natures sont soumis à des juxtapositions singulières et à des mutations fécondes en significations inépuisables.

Mais, chez Jean-François Noble, tout ne se joue pas dans l’incandescence de ce réseau extrêmement dense de résonances. Les signes rassemblés ne bâtissent pas un système, ne délimitent pas un territoire mais témoignent de l’ampleur d’un mouvement qui ne cesse de réactiver comme si l’œuvre toute entière était une complexe et obstinée reformulation d’elle-même où resurgirait et s’enchevêtrerait en forces toujours vives une passion infinie.

Ce mouvement prend sa source dans l’expérience intime et profonde d’images, de formes et d’idées, de gestes, d’outils et de matières. L’œuvre de Jean-François Noble s’organise, se structure autour d’une notion fondamentale : celle de savoir. Comme un cœur irrépressible, elle se dilate et se contracte, irriguée par de longs apprentissages. Chaque chose suppose une connaissance affûtée. Chaque pratique exige une compétence sans faille. Jean-François Noble n’accepte ni le superficiel ni le précaire. Chez lui, la notion de savoir, parfois poussée à l’extrême, répond à un souci de cohérence, de probité même. C’est aussi une façon d’introduire dans un processus artistique une certaine convivialité. Jean-François Noble reste attentif au regard, à la parole de l’autre. Pour lui, l’œuvre ne peut être qu’un lieu d’échange et de partage, qu’une aventure généreuse au contact de la terre et des hommes.

Jean-François Noble affectionne les lois immuables de l’univers du quotidien, les connaissances enracinées dans la mémoire collective mais aussi les ressources du merveilleux. Il les frotte les unes aux autres comme des pierres dont on fait jaillir des étincelles. Par cette référence constante à un dynamisme essentiel, il exhorte notre regard à voyager à travers de nombreux points d’attraction qui se révèlent tant dans la facture que dans le sujet. Car, malgré cet interminable cycle de renaissances et de mutations, d’éclatements et de rassemblements, l’œuvre associe et fertilise, donnant ainsi lieu à un continuum qui retient le regard dans un mouvement ininterrompu.

A la logique incisive d’un discours, Jean-François Noble préfère l’humble expérience sensible et les chassés-croisés d’une multitude de traces et d’indices. Son histoire personnelle se mêle à l’histoire des signes utilisés et des recherches engagées, et à leurs allégories respectives ? Son œuvre, ouverte à l’étonnement et au rayonnement, échappe à toute formulation définitive. Jean-François Noble nous invite donc à une relecture active et nous situe face à son œuvre comme face au monde, dans l’obligation d’observer et de vérifier, de découvrir et d’inventer.

Source : Jean François Noble. Périgourdien, Le Festin Editeurs, Bordeaux / ADDC Arts Plastiques Dordogne, Périgueux, 1990.Télécharger le texte (pdf)

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