1975. À l’occasion de son exposition au Kunstmuseum Luzern, Jan Dibbets publie Autumn Melody, un bref livre d’artiste de format A4. Il réunit sept photographies de feuillages et de végétaux, au sol ou en hauteur, imprimées en noir et blanc, pleine page, en recto seul, et dont l’orientation ne correspond pas toujours à celle de la page. L’une d’elles montre un tapis de feuilles mortes.
Deux autres de ses photographies de feuilles mortes, tournées et assemblées bord à bord, apparaissent sur les pages intérieures du art & project bulletin n° 87, sous le titre du Autumn Structures. L’œuvre est dédiée au peintre Edgar Fernhout (1912-1974), qui fut l’un de ses professeurs. Enfin, quatre autres photographies de feuilles mortes, toujours assemblées bord à bord, mais cette fois imprimées en couleurs, forment l’affiche de l’exposition personnelle de Dibbets à la galerie Leo Castelli de New York, au mois d’octobre. Elle comprend plusieurs montages similaires, dans des formats souvent très allongés.
2022. Comme dans de nombreux autres pays européens, l’été en France est marqué par des épisodes de chaleur intense – ici, trois vagues, sur un total de trente-trois jours. La dernière s’étale du 31 juillet au 13 août. À Bordeaux, sur les deux côtés de l’avenue Thiers, à quelques centaines de mètres de mon domicile, les platanes perdent leurs feuilles. Séchées, elles tombent, s’accumulant sur les trottoirs et les couloirs de bus, avec les herbes et les détritus jetés là – masques, tickets de loterie à gratter, tickets de caisse, papiers, emballages, etc. Les employés municipaux les ramassent régulièrement, la nuit ou très tôt le matin. Il n’en reste alors que de petits tas de brisures, peu à peu recouverts par de nouvelles chutes.
Quatre jours durant, du 10 au 13 août (37,9°C ; 39,4°C ; 37°C ; 34,2°C), je photographie ces feuilles de platane mortes, à l’ombre et en plein soleil, le matin et en fin d’après-midi, évitant les heures les plus chaudes. Sous le ciel bleu d’un parfait dégradé, dans l’air surchauffé, leurs craquements secs rejoignent l’odeur de la fumée provenant des grands feux de forêt, à une quarantaine de kilomètres au sud – odeur avec laquelle je me suis réveillé un de ces matins, sans la reconnaître immédiatement.
Quarante-quatre de ces photographies, organisées suivant l’heure de leur prise de vue, du matin au soir, composent ce nouvel air, Midsummer Melody.
Pierre-Lin Renié, mars 2023
Crédits photographiques : Pierre-Lin Renié