En février, les habitants du petit village de Gorafe au sud de l’Andalousie taillent les oliviers. De grands feux naissent dans les champs au milieu du désert et des falaises ocres. On aperçoit alors de multiples incendies, des appels incandescents depuis les hauteurs du village.
Laure Subreville
Écrits.
Laure Subreville, « Commentaire sur le désert », 2017
On ne regarde pas le désert avec les yeux.
Le vent traîne la poussière qui rentre dans le nez, la gorge, les oreilles.
Le désert remplit le corps, couche par couche.
Je suis dans le désert. Tout en haut du plateau, avec les chèvres et les chiens qui veillent. Le vent est fort, pourtant rien ne bouge. Je suis dans la mer asséchée. Paysage des profondeurs obscures devenu canyon frappé par le soleil. Les vautours tournent au dessus de ma tête. Ils attendent que mon corps tombe sur le sol et que mes chairs s’offrent aux habitants du ciel. Mes yeux ne quittent pas les montagnes. Partout la mort, la roche et l’argile. Pourtant, quelque chose gronde sous la terre, dans les crevasses et les cheminées. Une source sous les pieds des hommes coule dans l’invisible du désert. Le souvenir de la mer qui s’est retirée résonne toujours cinq millions d’années plus tard.
Une pellicule de poussière recouvre ma peau. J’ai des grains dans les cheveux, des plus gros morceaux dans les yeux. Je cligne alternativement des paupières pour protéger chaque œil. Je parle peu, respire à peine. Je n’ai plus de salive. La mer s’est aussi retirée de ma bouche. Tout mon corps durcit, se sédimente. Il devient une caverne coupée du monde et l’esprit commence à se balader dans les os.
Le troupeau saute du plateau et dévale les pentes abruptes de l’ancienne mer. Les chiens accompagnent les bêtes.
Le berger reste assis au bord de la falaise. Il regarde sa fortune plonger dans les profondeurs rocheuses. Les chiens ont toute sa confiance. Ils ramèneront les chèvres.
L’homme de pierre est sec et gris. Ses cheveux ressemblent à ces arbustes du désert avec lesquels on fabrique des paniers. Des lapins habitent dans ses oreilles. Des vautours guettent la charogne depuis les hautes falaises de son front.
J’ai suivi le feu depuis les hauteurs du village. J’ai suivi le feu à travers les champs d’oliviers. J’ai suivi le feu longtemps.
Je marche à travers les ossements des montagnes.
Les pics tranchants sont comme des omoplates brisées.
Des fémurs blancs se dressent au soleil. La cage thoracique de cet immense animal recouvre les gouffres rouges et gris. Il repose au sommet de l’ancienne mer, rongé par les vents. Les blocs s’affaissent peu à peu et la bête s’effrite. Je marche dans le désert. Je vis pour la première fois la sécheresse.
La sécheresse n’est pas le paysage. C’est un mode d’existence de l’humanité.
Le désert me renvoie à ma propre sécheresse.
© Adagp, Paris