En donnant le masque elle dit : « Voici votre demeure »
Vous êtes entrés par la tête, puis le corps.
Il y en a qui enfoncent d’abord les pieds puis coulent doucement en prenant le temps.
Ils s’accordent un long moment pour savourer, sentir leur orteils puis leur jambes, leur bassin et leur tronc se rafraîchir lentement avant de s’immerger totalement.
Vous non.
C’est là tête que vous avez besoin de vivifier d’abord.
Le visage en premier qui plonge.
Que ça vous rentre dans le nez.
Vous voulez être rapidement remplis, en avaler, sentir des morceaux dans le flux qui vous entre par les narines et la gorge.
La bouche d’abord grande ouverte.
Vous avez envie que ça descende vite.
Resserrer les dents sur des fragments gluants en sentant les grains crisser sur l’émail.
Ça arrive dans votre estomac, ça tombe, ça se moule dans votre organe.
Ça commence à suinter doucement dans votre organisme.
De la membrane au ventricule, colonisant le foie, puis le cœur.
Votre sang en est maintenant chargé.
Vous êtes à présent leur hôte.
Vous commencez à apprendre les manières d’apprécier les saveurs de leurs mets.
Vous êtes désormais totalement immergé.
Votre corps flotte dans cette masse liquide et dense.
Vous êtes remplis d’elle.
Vous êtes elle.
Les rayons du soleil filtrent à travers la surface dessinant autour de vous des ombres verdâtres.
Elles oscillent en harmonie avec les ondoiements de votre corps.
Posez votre demeure devant vous.
Regardez en bas.
Ils y dansent.
Des groupes se forment et se défont suivant une logique minutieusement cadencée.
Vous pouvez étendre les bras et entamer les premières brasses en leur direction.
Vous allez les rejoindre.
Coordonnez vos mouvements avec le rythme de votre souffle.
Videz l’air de vos poumons en ramenant vos bras le long de votre tête, bien tendus vers l’avant, paumes jointes.
Pliez vos jambes, vos talons collent vos cuisses.
Inspirez en rabattant les bras vers votre corps et lancer vos jambes en extension, bien tendues vers l’arrière.
Expiration. (On place nos mains au-dessus de nos têtes en même temps qu’on souffle-ombre).
Inspiration. (Rabat)
Expiration. Vous sentez comme votre corps s’alourdit d’abord.
Inspiration. Remplissez-le de cette substance.
Expiration. Éliminez l’autre de votre organisme
Inspiration. Il est à présent en vous.
Expiration. Une dernière poussée avant de l’atteindre.
Inspiration. Vous êtes parmi nous.
Replacer votre demeure sur votre visage.
Ici c’est votre forme.
Une odeur de churros, à votre droite une ombre s’esclaffe alors qu’une autre la saisit par les hanches.
Des basses trop fortes font vibrer une foule en cadence.
Une récente chanson pop mielleuse s’insinue le long de vos mollets.
Des banquettes de velours collantes de cocktail vodka ananas jus d’airelle.
Cascade de gin et de sequins réversibles, des torses huilés ondulent sans jambes.
D’énormes gueules vermillons aspirent des langues à écailles.
Vos yeux s’habituent à la pénombre.
Les spots de couleurs tournoyants dévoilent des membres inconnus.
On vous touche.
Des mains agrippent les vôtres.
Vous entraînent.
Dans votre dos une masse étrangère s’est collé et vous glisse ses doigts sur le ventre.
Vous vous abandonnez à ses mouvements onduleux.
Vous dansez.
Vos corps enfiévrés par la substance s’élèvent et redescendent ondes rondades gracieuses
frôlant et caressant chaque surface vivante qui l’entoure.
Respirez encore.
Calmez-vous.
Reprenez votre souffle à la bouche de cet être-là.
Reposez vous dans les bras de celle-ci.
Elle caresse doucement votre front brulant.
Abandonnez-vous dans l’étreinte de celui-là qui vous couvre les joues de baisers.
Il vous berce, le corps avachi dans ses bras
Fermez les yeux.
(Là, une des filles vient accrocher la piñata pendant le laïus qui suit ? )
Vous êtes son bébé.
Son nouveau-né.
Il vous nettoie, vous savonne, vous récure, vous frictionne.
Il vous sèche.
Il nous tend votre corps propre.
Nous vous massons avec de l’huile,
Nos mains malaxent vos articulations et nourrissent votre épidermes.
Nous vous chatouillons dans le cou.
Soufflons sur votre ventre.
Nous appliquons des crèmes entre les plis pour ne pas que ça s’irrite.
Nous vous enfilons par la tête un body de coton, nous faisons bien attention à ne pas tordre vos oreilles ou vous griffer le nez.
Nous vous enfilons les bras.
Nous jouons avec vos mains comme des marionnettes quand elles sortent de vos manches.
Nous allons prendre soin de vous.
Nous avons invité des clowns et préparer des cupcake avec du glaçage vert amande.
Nous avons fait imprimer sur le gâteau votre personnage de dessin animé préféré avec des encre comestibles.
Il y a des guirlandes en papier argenté et des ballons qui volent.
Nous avons hésité à faire venir un magicien mais nous savons que ça vous fait peur.
Célie Falières
Masques produits pour la performance
Crédits photographiques : Lou-Andréa Lassalle-Villaroya