L’espace photographié semble échapper à toute dimension. Un trait blanc surgit d’un néon dans une prison. Son éclat linéaire surligne ce que je crois reconnaître : une grille et une cellule collective en renfoncement. La clarté s’embue. La fonction de ce lieu n’est pas l’enfermement. Les circonstances de prises de vue des photographies sans titre sont indiquées par leur appartenance à des séries. Le dispositif de captation visuelle définit ouvertement un appareil de fiction : décors, accessoires et vies en rose.
Un rayon fait irruption dans l’obscurité et découpe l’espace. J’avance dans le rectangle sombre de l’image avec la certitude d’une égarée. Dans le coin le plus noir je touche un objet froid. Néanmoins mes doigts se rétractent sous une sensation de brûlure. Je reconnais le haut d’un escabeau éclairé par un trou percé dans un mur épais. « Qui a posé dans cette pièce vide verdâtre cette petite échelle d’intérieur ? De quel corps est-elle l’instrument de mesure ? »
Passé l’étonnement de ne voir qu’un banc ou une étagère, rien ne permet d’imaginer la situation dans une seule planche. Des choses ont été assemblées et bâties pour une habitation. Les acteurs aussi bâtissent parce qu’ils habitent. Pourtant personne ne traverse les écrans de surveillance et les voix sont silencieuses. La présence humaine ne s’entend qu’étiquetée à la manière d’un mannequin d’étalage.
Une table à tiroirs sans tiroir, une chaise en plastique, un lit de fer et entre toutes ces choses communes un mur. Ces accessoires de plateaux ne renouvellent pas une action manifeste, ils établissent des relations latentes entre les choses. Peu à peu l’ordre change. Les images outrepassent le cadre et évident la scène. En deçà d’une porte IKB, l’acte photographique, l’acte de voir et l’acte d’écrire ouvrent ensemble et séparés l’espace regardé et parlé.
Un casier à bouteilles à moitié dissimulé sous un rideau n’est plus tout à fait muet quand un pan de mur jaunâtre remise le faux-semblant d’un camouflage et qu’un pan sous tuyau jaune vif « fait son Beaubourg ». Chaque pan ranime mes possibilités d’expérience et transfigure l’espace. Je traverse les murs. Still-Lifes techniques en quelque sorte. Des gobelets défoncés sous la neige ne sont plus ce qu’ils font. Des figures de pensée se fondent dans les élèves d’un lycée.
Chaque lycéen duplique un exemplaire de lui-même. Leur dédoublement révèle des sosies solitaires dans leur appartenance au groupe. Les adolescents exhibent une gémellité qui renforce la symétrie du décor « naturel » et la frontalité de la vision. Jusqu’à un certain point de l’estrade sur laquelle trônait un bureau derrière lequel était plié un drapeau à côté duquel présidait un siège sur fond de blason circaète tout représentait un lieu de pouvoir. Même un pommier en fleur prenait une pause d’autorité.
À l’intérieur de cette école aucune volonté de dresser les filles et les garçons en effigies ou en trophées. Les photographies ne les assignent pas à résidence. « C’est juste ici qu’on vit » disent des visages qui effacent le caractère identitaire, relationnel et historique des lieux. Étais et madriers imposent leur droiture à une façade et dessaisissent l’équilibre des vies.
Mes mots pour voir découvrent un coin de bibliothèque à la surface d’un miroir mental qui consacre autant la topographie d’un bac de plantes vertes que la cosmographie de l’inconcevable univers. À rebours des reflets un théâtre reçoit ses dimensions des qualités humaines. La cohérence du travail de Maïtetxu Etcheverria désinscrit la photographie des conditions de son acte et inscrit une poétique de l’image qui dimensionne la vie même.
Un petit rien de lumière capturé par une forme jaune conjure la profondeur sans fond de l’espace : une rose.