Cryptobiose , bande sonore de l’exposition
Réalisée par Camille Beauplan
Captation vidéo de l’exposition Cryptobiose , 2024
Produite et réalisée par Pollen, résidence d’artistes à Monflanquin
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J’habite à Bègles. Le lundi matin je prends la voiture jusqu’à Monflanquin, puis je reviens le mardi soir pour garder mes enfants, voir mon ami puis je repars le jeudi matin et je reviens le vendredi soir. Je n’ai jamais autant conduit. De jour, de nuit, sous la pluie, dans le brouillard. C’est un défilé d’animaux morts sur la route, je n’ai jamais autant lutté pour ne pas m’endormir, je ne me suis jamais autant perdue et je n’avais jamais enfreint le code de la route autant de fois. Déviations, limitations de vitesse, sens interdits, obstacles sur la route, travaux, blocages, nids de poules, inondations… Je regarde la route, le paysage, le gps, j’écoute la radio et j’entends les guerres, les jeux olympiques, les génocides, un nouvel album, le nombre de morts, la crise immobilière, le salon de l’agriculture, des gens qui s’écharpent, et d’autres qui s’aiment, des archives, des documentaires… Je pense à mes enfants, à mon ami, à mon grand-père qui meurt et ma grand-mère atteinte de démence. A chaque fois, arriver est une victoire. Je découvre mon logement prêté par Pollen. _ C’est une œuvre d’art, il a servi de décors pour une video de l’artiste Nina Laisné. Meubles chinés, décoration ascétique, lustres à pampilles, murs blanc, bleu clair, de grand volumes et une vue sur les Pyrénées si le temps le permet. Ce lieu était aussi une ancienne école. Il est habité de beaucoup de choses ça se sent, c’est presque palpable.
Il pleut, il bruine, il fait un peu froid. C’est un hiver très humide presque tropical bizarrement . Je déambule, je me perds, je joue un jeu sérieux de touriste ethnologue.
Monflanquin est exotique comme tout ce qui est nouveau pour moi. Ça glisse par terre, ça sent la pierre humide, on entend les chats qui miaulent, les enfants dans la cours d’école et les cloches de l’église. Il n’y a pas de brouhaha des villes, pas de bruit de voitures, pas d’odeur de nourriture, pas de gens qui parlent dans la rue. Tous ces espaces clos et ce grand horizon. C’est le moment de la peinture. A l’atelier, j’écoute les cours de Deleuze, des podcasts sur la folie, la maternité, les expériences de mort imminentes, l’histoire des religions, et surtout pas de musique. Il faut laisser la main travailler pendant que l’esprit est ailleurs. Ça c’est nouveau pour moi. Pollen arrive en pleine révolution dans ma pratique. Je sais aujourd’hui pourquoi je m’acharnais à vouloir représenter le réel de façon hyper-réaliste : parce-que je ne me figure pas l’espace de façon adéquate il a fallu qu’un médecin me l’explique pour que j’en prenne conscience et que je l’accepte. « Madame vous lisez l’espace comme un scanner, vous n’avez aucune vue d’ensemble, vous avez une hyperactivitée cognitive et un fort trouble de l’attention. Si vous luttez vous allez vous épuisez, il faut vivre avec ». Je lis donc l’espace comme un livre, de gauche à droite, en deux dimensions, mon cerveau est bloqué sur ce mode. Je n’ai aucune vue d’ensemble. Aucune. Mon paysage est un ensemble de morceaux mis bout à bout, à plat. Et puis en parallèle, mes idées partent comme des feux d’artifices à une vitesse que je ne contrôle pas. La peinture vient comme un liant entre mes pensées, et ma représentation du monde.
Elle est la matière molle entre les choses du monde et moi. L’acte de peindre est un saut dans le vide, une catastrophe. Je déploie la peinture sur la toile comme un fil continue, je baigne dans l’abstraction la plus totale, c’est dangereux, c’est excitant et inconfortable, je suis sur la brèche, jusqu’à la fin.
Camille Beauplan