Christophe Doucet sculpte autant l’espace que les matériaux. Son regard porte loin, autant sur les éléments matériels qui configurent un territoire que sur les éléments symboliques qui permettent aux hommes de l’habiter. Il procède à des mises en œuvre, des mises en formes qui troublent la représentation commune attachée aux lieux sur lesquels il intervient. Ainsi, les modes d’identification qui servent de repères, de limites pour définir le propre d’une appartenance territoriale, sont bousculés, dérangés par le travail du plasticien. La production artistique de Christophe Doucet ne vise pas tant à réaliser des objets artistiques que le monde de l’art classe sous la catégorie sculpture, que des objets anthropologiques à forte valeur esthétique qui puissent être réappropriés par les populations habitant le territoire où son intervention, au sens fort du terme, a lieu. Que ce soit en Europe ou en Asie, donc, au sein de sa propre culture ou d’une culture autre, il procède de la même manière, avec la même volonté de produire du don en amenant le regard de ceux à qui ils s’adressent, à questionner la forme donnée à voir et ses répercutions en terme d’existence. A travers les réappropriations collectives attachées à un lieu se jouent sous la forme de rituels, souvent perdus, tout du moins en Occident, le jeu vivant des imaginaires qui animent les vies ordinaires. Ce que certains présenteraient comme un geste banal devient par la puissance d’intervention de l’artiste une occasion exceptionnelle de renouer avec un site existant, de réinventer des pratiques, de réactiver des récits liés au lieu. Une parole est livrée à travers une forme plastique, une parole qui appartient non seulement à l’artiste mais aussi à ceux à qui il s’adresse avec autant d’efficience que de modestie. La monumentalité des sculptures exposées en pleine visibilité laisse alors la place à la puissance esthétique d’un invisible, qui accorde, fait lien avec l’espace habité, et place le spectateur « devant le temps ». L’acte de production artistique, signé Doucet, prend sens alors dans cette manière singulière où le temps qui habite un lieu déploie, à travers le dispositif et la forme artistique réalisé par l’artiste, toute son épaisseur. Le lieu retrouve alors une vigueur mémorielle insoupçonnée. Doucet assemble des matériaux, réemploie des objets de l’ordinaire pour réaliser ses « sculptures ». Il crée ainsi des effets de sens, où, l’étrangeté, l’énigmatique, ont place. Mais, en fin de compte, derrière le jeu des aspects visuels à travers lequel son travail se présente aux habitants permanents ou éphémères d’un territoire, s’anime une dynamique rare de symbolisation qui permet à une communauté d’existants de faire corps en un lieu révélé par un acte artistique d’une exceptionnelle vigueur.
> Download the English version - translated by Lucie Cluzan / courtesy Christophe Doucet