Camille Lavaud avance à contre-courant et construit patiemment et avec abnégation une œuvre singulière. Ce n’est pas pour autant qu’elle est hors du temps. Son dessin se nourrit aussi bien de l’Histoire que des cultures populaires. Il revêt de multiples formes, parfois précis et méticuleux, d’autre fois plus spontané et jeté, mais toujours foisonnant et peuplé. De la fiction à l’exploration documentaire, il y est toujours question de récit.
Dans ses dessins, l’artiste impose un face-à-face avec le regardeur et c’est là que réside toute la contemporanéité de son œuvre. Qu’elle traite de la résistance dans le Limousin ou téléporte Jean-Pierre Marielle dans un Disney ™ old school croquignolesque, le procédé reste le même : insuffler au récit séquentiel la force des dessins orphelins. Chaque page, chaque planche pourrait être autonome même si son travail est envisagé comme un tout.
Pas de culture libérale du projet dans les multiples chantiers que l’artiste met en œuvre, mais une construction brique par brique comme le ferait tout bâtisseur prolétaire. À l’heure où, enfin, la diversité semble faire entendre ses voix, Camille fait partie des artistes qui cultivent subtilement l’impur. Elle a réussi la greffe entre Cinéparade et les Cahiers du cinéma en créant sa propre maison de production cinématographique, le Consortium des Prairies. Attention, nous n’avons pas à faire ici à un projet fictif, la Dame écrit des scénarios, dirige les acteurs, tourne des films et les projette !
L’écheveau minutieux que se coltine l’artiste se base sur un travail précis et rigoureux de documentation. Elle n’hésite pas à se plonger dans les archives mais aussi à éprouver dans le réel les contextes des sujets qu’elle explore. Elle tient cet appétit pour la lecture de son grand-père, au côté duquel elle a sillonné les routes du Périgord, embarquée dans son bibliobus. C’est dans ce camion qu’elle a dévoré des centaines de milliers de pages d’écriture. De la Série noire à la Blanche de chez Gallimard, sans hiérarchie, juste le désir de la découverte, une curiosité vissée au regard qui adopte les mots pour produire des images mentales qu’il a fallu un jour, à son tour, coucher sur le papier. Ses dessins sont peuplés de textes, titres et noms qui s’affichent par le biais d’un travail typographique artisanal. Au-delà du tracé, le travail d’écriture est complexe aussi bien dans le choix des noms des distributions que des titres de ses films.
L’œuvre de Camille Lavaud est difficilement classable dans le seul champ d’un art contemporain. C’est une exploratrice, qui investit aussi bien les pages des fanzines et de la bande dessinée, les pochettes de disques pour le label Born bad, les flyers de soirée, les écrans vidéo ou les espaces d’expositions. Son dessin prolifère et se métamorphose, il prend vie et mène son chemin autonome. Elle développe un art prolétaire, mis en œuvre dans l’intimité de l’atelier avec la volonté de s’investir totalement dans chaque étape du travail tout en acceptant de se confronter aux enjeux d’une équipe, lors des tournages de ses films. C’est à cet endroit qu’elle crée du commun, donnant vie à une famille tant artistique que politique qui n’est pas sans rappeler la tradition libertaire des ateliers d’imprimerie du XIXe siècle. Elle mobilise dans ces temps de travail une ferveur motivée par un engagement altruiste bien loin de l’isolement précaire des bureaux nomades « uberisés » qui conditionnent le travail contemporain.
Manuel Pomar, artiste, co-responsable de Lieu-Commun artist-run space, Toulouse.