Il y a dans l’œuvre de Laurent Terras une urgence écologique. Mais il faut d’emblée préciser qu’elle est largement ironique. On pourrait du reste imaginer une nouvelle catégorie de pensée, à mi-chemin entre la prise de conscience et le bon sens : l’écologironie.
Ainsi, l’artiste propose de faire chauffer son fer à repasser au soleil (les Ultra-Terrestres [Repassage], 2017), ou bien d’adapter un tambour de machine à laver sur une bicyclette (L’Essorage des utopies, 2009), plutôt que de brancher les appareils électroménagers. Les économies d’énergie réalisées permettraient ainsi de sauver la planète. Mais l’artiste sait bien, et nous le savons aussi, que ces gestes, aussi engagés et pleins de bonnes intentions soient-ils, sont dérisoires face à l’ampleur de la tache et des dégâts commis par plusieurs générations.
C’est bien dans ce hiatus que s’introduit Laurent Terras. Entre le dérisoire et la catastrophe. Chacune de nos actions, selon la loi du battement d’aile d’un papillon, a une incidence dont nous n’avons pas toujours conscience. Par exemple, saviez-vous que la moindre recherche entamée dans le moteur de recherche google consomme la même énergie nécessaire pour faire bouillir un litre d’eau dans une casserole ? C’est le sens de l’œuvre intitulée Chercher encore (2014). Le titre est écrit à l’aide de durites dans lesquelles circule, mu par une pompe électrique, du liquide de refroidissement. Ce dernier peut-il lutter contre le réchauffement climatique et la surchauffe des data center ? En tout cas, les œuvres de Laurent Terras réalisées selon ce procédé nous invitent à prendre de la hauteur. De près, elles évoquent le réseau sanguin d’un corps humain placé sous perfusion. Mais si l’on s’élève un peu, on songe à un réseau autoroutier saturé, défigurant encore la planète, où les bulles d’air apparaissent comme autant de véhicules affolés, circulant à la queue leu leu, coincés dans un trafic hystérique, et consommant toujours plus de carburant. Ce carburant est évoqué par un ensemble de céramiques en dégourdi de grès (TechnoFossiles, 2012) : des bidons d’huile, d’essence, une bonbonne de gaz, soit tout ce qu’on appelle aujourd’hui les énergies fossiles, et qui ne sont plus ici que les lointains et mauvais souvenirs d’une époque révolue, lorsque l’humanité future aura enfin trouvé la bonne énergie de substitution. Dans ce musée des choses obsolètes, les humains y tiendront sans doute une bonne place. Peut-être auront-ils disparu depuis longtemps, ou tout bonnement quitté cette planète qu’ils auront consciencieusement détruite.
Il convient donc de prendre de la hauteur, dans une capsule spatiale de secours (Space Nurse Project, 2004) mais qui ne fonctionne pas, ou bien tout recommencer avec ce primate contemplant une tour de PC, tout droit surgi du 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (Carl et le dernier singe, 2005). Là se situe précisément l’alternative. Le gap entre dérisoire et catastrophe se double alors d’un choix qu’il convient d’opérer entre un bricolage salvateur et une technologie de pointe qui bugge et patine. Laurent Terras a choisi le low et le do it yourself, car ils offrent davantage de possibilités. Ils permettent d’exploiter une grande diversité de matériaux dits « pauvres », de la céramique à l’électronique de base. Et en ce sens, le dessin, matériau le plus primaire qui soit, s’avère le creuset de tous les projets, en ce qu’il représente un précieux espace de liberté. Le do it yourself permet enfin de s’affranchir d’une technologie par trop prégnante et génère une nécessaire indépendance dans le cadre d’une économie auto-suffisante et collaborative, comme dans Hydroponie, Flower power et Effet de serre (2005), où il s’agissait de faire croitre des plantes diverses, dont les graines avaient été plantées par les visiteurs de l’exposition.
Comme nous ne pouvons pas encore tutoyer les étoiles, du moins pas le commun des mortels, il nous reste à explorer ce qui subsiste de la planète à l’aide de véhicules trafiqués. Les images ramenées par l’ERM Rotover (2006), lors de ses diverses missions d’exploration dans le sud-ouest et ailleurs, révèlent que la Terre est encore belle, et qu’il demeure beaucoup de choses à y découvrir, pour qui saurait un tant soit peu regarder et faire montre d’enthousiasme.
Richard Leydier, « Laurent Terras. Précis d’écologironie. », février 2018 (extrait)
Commande de Documents d’artistes Nouvelle-Aquitaine
There is a sense of ecological urgency in Laurent Terras’ work. We should, however, clarify that his posture is largely ironical. One could even make up a new category of thought for it, half way between realisation and common sense : “ecologirony”.
And so the artist proposes to heat up an iron in the sun (Les Ultra-terrestres [Repassage] / The Ultra-terrestrials [Ironing], 2017) or to fit a washing machine drum to a bicycle (L’Essorage des utopies [The Wringing of utopias], 2009) instead of plugging in regular household appliances. The energy saving thus achieved should help save the planet. But the artist is well aware, as are we, that while these efforts show commitment and are carried out with the best intentions, they are also insignificant when faced with the scope of the issue and the damage done by several generations.
This is the rift that Laurent Terras chooses to slip into – the rift between inadequacy and disaster. According to the butterfly effect theory, each of our actions has a consequence that we are seldom aware of. For instance, did you know that a single Google search requires the same amount of energy as boiling a litre of water in a saucepan ? This is the meaning behind the work Chercher encore (Still searching, 2014). The title of the piece is spelled out with radiator hoses through which coolant is injected by an electric pump. Will the cooling fluid be of any help against global warming and the overheating of data centres ? In any case, the works that Laurent Terras creates using this method encourage us to take a step back. Seen up close, the piece is reminiscent of someone’s blood vessels on a drip. Seen from a higher angle, one might imagine a saturated motorway network defacing the planet, in which the air bubbles look like frenzied cars driving in lines, stuck in hysterical traffic and using up more and more fuel. Fuel is also hinted at in the series of fired stoneware ceramics TechnoFossiles (TechnoFossils, 2012) : oil and petrol canisters, a gas bottle – everything we currently call fossil fuels, in this case nothing but distant and unpleasant memories of a bygone era in a future where humanity will have finally found the right alternative energy source. Perhaps even human beings will make their way into this museum of obsolete things. Maybe they will have gone extinct a long time ago, or will have simply left the planet they have methodically destroyed.
One must therefore look at the bigger picture, perhaps aboard a broken down rescue space capsule (Space Nurse Project, 2004) ; or perhaps start over again with a primate looking at a PC tower, straight from Stanley Kubrick’s 2001 : A Space Odyssey (Carl et le dernier singe [Carl and the last monkey], 2005). This is precisely where the alternative lies. The gap between inadequacy and disaster comes with making a choice between redeeming DIY and dysfunctional, stagnant advanced technologies. Laurent Terras has chosen low-tech and DIY because they offer more possibilities. They enable him to exploit a wide range of so-called “poor” materials, from ceramics to basic electronics. In this sense, drawing – the most primal medium there is – becomes a melting pot for all sorts of projects, in that it represents a space for freedom. DIY is also a way of freeing oneself from technology that is too pervasive and also generates much-needed independence in a self-sufficient and collaborative economy, as illustrated in the piece Hydroponie, Flower power et Effet de serre (Hydroponics, Flower power and the Greenhouse effect, 2005), the purpose of which was to grow a variety of plants sown by visitors of the exhibition.
Because we are not yet able to touch the stars – at least not as ordinary mortals – we can still explore what is left of the planet with makeshift vehicles. The images captured by the ERM Rotover (2006) on its various exploration missions in the south-west region of France and elsewhere reveal that the Earth is still a beautiful place that has a lot to offer if one is willing to look more closely and with a keener eye.
"Laurent Terras. An ecologirony handbook", by Richard Leydier, 2018.
Commission by Documents d’artistes Nouvelle-Aquitaine
Œuvres de l’artiste dans les collections publiques du réseau Videomuseum
Fonds Communal de la Ville de Marseille
Lieu d’art contemporain (L.A.C.) de Sigean
Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine, Limoges
Vidéochroniques, Marseille
Centre national d’art contemporain, Paris